Mon Enfant De Berlin
qu’elle sait à quel point nous tenons tous les deux à Berlin, c’est..., c’est...
— ... Invraisemblable !
— Tu me l’enlèves de la bouche.
La tirade de Claire a tellement diverti Wia qu’il ne peut plus se retenir de rire. D’abord vexée, Claire se reprend et va s’asseoir sur ses genoux.
— N’empêche, dit-elle fièrement. Je n’ai pas signé par l’habituel « votre petite Claire », mais Claire tout court. Je crois que c’est la première fois...
La soirée est bien avancée quand Claire et Wia sortent le chien Kitz. Malgré l’obscurité, quelques passants traînent encore dans les rues. Des soldats alliés pour la plupart, mais aussi des Berlinoises et des Berlinois. La ville en ruine, à l’approche du printemps, semble se réveiller d’un long sommeil.
Claire et Wia marchent lentement, serrés l’un contre l’autre. Ils sont fatigués des tensions accumulées durant la journée mais heureux et enfin apaisés. Rosen a téléphoné : le dossier de la Cagoule est clos, Wia définitivement innocenté. Une fête est prévue pour célébrer cette victoire et les talents du négociateur.
— N’empêche, dit Claire, il a failli nous brouiller avec maman... Si c’est lui qui est chargé de plaider pour notre mariage à Berlin, je crains le pire !
— Tu vois toujours tout en noir, mon chéri. Mais je te préviens : je veux une épouse optimiste et sans migraines.
Lettre de Claire :
« Samedi 27 avril 1946
Chère petite maman,
Enfin un mot de vous. Je commençais vraiment à croire que vous aviez complètement oublié votre petite fille.
Si je ne vous ai pas écrit c’est que je n’ai eu jusqu’à ce matin presque pas une minute.
Belle semaine sainte assez pieuse : pas de cigarettes ni de bonnes choses les mercredi et vendredi saints. Je tournais en rond, complètement folle. Le jeudi saint, nous nous sommes toutes confessées. Le vendredi nous avons eu un très beau sermon et le jour de Pâques une magnifique messe à 11 heures où presque tout le 96 a communié.
Dans la nuit du samedi au dimanche nous avons tous été à la messe de minuit orthodoxe. C’était très émouvant car dans cette petite église russe on retrouvait mêlés aux Allemands orthodoxes, les uniformes américains, anglais, français et même des Russes de l’Armée rouge. Et c’était bien les mêmes visages et les mêmes voix sous des uniformes différents. À côté de moi, une jeune Allemande pleurait en chantant le “Christ est ressuscité” et j’étais moi-même au bord des larmes.
Le mardi matin, je partais en mission à 9 heures et rentrais à 2 heures de la nuit. J’ai conduit tout le temps et étais un peu fatiguée mais contente car mon ambulance était pleine de gens heureux de rentrer.
Dîner avec les Russes, naturellement, et grande victoire personnelle car ce sont les Russes qui m’ont défendu de boire. Généralement ils n’ont de cesse de vous faire avaler vodka sur vodka.
Mais cette fois ci, j’ai réussi à changer mon verre plein contre un verre vide et je l’ai bu d’un coup et j’ai fait toutes les grimaces qu’un tel exploit exige. Puis sous les yeux admiratifs des Russes, j’en ai redemandé d’autres. Mais celui que j’avais dans mon ambulance s’y est refusé catégoriquement tant il avait peur que je le mette dans le fossé.
Jeudi nous sommes parties à six ambulances et un camion pour aller chercher 208 Alsaciens, Belges et Hollandais à Francfort-sur-l’Oder que les Russes après mille demandes voulaient enfin nous donner. Imaginez la figure de tous ces types à notre arrivée. Tous ces garçons n’avaient pu envoyer de nouvelles à leurs parents depuis deux ou trois ans et affirment qu’il y a encore beaucoup d’Alsaciens chez les Russes. Retour triomphal pour tous, sauf pour moi qui commençais une crise de foie. Inutile de vous parler de la nuit qui suivit et de la journée du lendemain.
Aujourd’hui je vais très bien et je vous écris à toute vitesse car quelqu’un prend l’avion tout à l’heure.
Tout va très bien entre Wia et moi. Nous sommes tous les deux un peu tristes de ne pas nous marier le 5 du mois de mai. Wia a été un jour à Paris pour son affaire. On a reconnu qu’on s’était trompé sur le personnage et que ce n’était pas lui qui avait trafiqué avec les Allemands et qu’on n’avait ressorti l’affaire de la Cagoule que pour ça. En plus, la nouvelle citation de Wia
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