Mon Enfant De Berlin
personne, de ne rien faire avant que Wia soit complètement innocenté. Après, elle verrait.
Dans l’après-midi du lendemain, Wia est de retour. Rosen, resté à Paris, réunit les derniers documents nécessaires. Les deux hommes sont confiants : d’ici peu, le dossier sera clos, on pourra fixer la date du mariage. Wia en est si heureux qu’il presse Claire de l’accompagner marcher dans la forêt.
Après le long hiver, le printemps semble en avance. Sous le soleil, les ruines de Berlin ont un autre aspect. Les Berlinois sont plus nombreux dehors, dans les rues, aux abords des forêts proches de la ville.
Wia tient Claire par la taille, ils avancent d’un bon pas sous les sapins. Claire est grisée par les odeurs de résine et de terre, par les jeux de lumière entre les branches des arbres et la douceur inattendue de l’air. Des pousses d’un vert tendre annoncent les prochaines fleurs. Claire fait des projets pour les jours de congé. Ils reviendront d’ici quelques semaines, deux peut-être, cueillir les perce-neige, les violettes et les primevères. Elle accepte même d’apprendre à monter à cheval puisque c’est le sport préféré de Wia. Plus ils s’enfoncent dans la forêt, moins l’avenir lui paraît menaçant. Elle n’a pas oublié sa rencontre avec les parents de Wia, mais maintenant qu’elle a quitté Paris, qu’elle est contre lui, dans ses bras, ils ont beaucoup perdu de leur importance. Ce sont deux pauvres fantômes alors que Wia est un homme de chair, vivant, si vivant. Le chien Kitz court loin devant eux.
— Oh, que je suis distrait ! J’allais oublier de t’offrir ce que j’étais allé chercher à Paris, dit Wia.
Il sort un petit écrin usé de la poche de son manteau, le tend à Claire. Comme elle hésite à l’ouvrir, il le fait à sa place et retire une bague qu’il lui passe à l’annulaire gauche.
— C’était la bague de fiançailles de maman. Elle n’a jamais voulu la vendre car elle était destinée à ma future femme. Elle est à toi, maintenant.
Claire regarde, impressionnée, la bague en or sertie de petits rubis et de diamants.
Lettre de Wia à Mme François Mauriac :
« Berlin le 28 mars
Madame,
Je viens d’apprendre qu’un de nos officiers part tout à l’heure pour Paris et veux en profiter pour gribouiller un petit mot que je n’aurais pas confié à la poste normale.
Claire a reçu ce matin une lettre de vous qui l’a beaucoup bouleversée et je suis moi-même assez inquiet, Claire m’ayant lu certains passages. À vrai dire, c’est surtout une phrase qui a semé le désarroi en nous, la phrase où vous dites à peu près : “Ici les affaires n’ont pas trop bien marché.” Claire et moi, nous nous demandons avec une certaine angoisse s’il s’agit là, comme pour la “maladresse” de Rosen, de sa conversation avec Monsieur Mauriac ou de son entretien avec le ministre.
Rosen est un être d’élite que vous aurez, j’espère, l’occasion de mieux juger et d’apprécier à sa vraie valeur. Ceci dit, il est très brusque mais sauve ses fautes de tact et de diplomatie, ou cherche tout au moins à les rattraper, par son charme slave et son incontestable séduction.
C’est pourquoi je m’excuse de vous avouer très franchement que Claire et moi souhaitons, aussi paradoxal que cela puisse paraître, que ce soit avec vous qu’il a été maladroit.
En partant, il a eu avec Claire et moi une longue conversation au cours de laquelle il s’est montré très optimiste quant à l’issue de mon “affaire”. À Paris, il devrait voir un tas de gens très importants pour la régler définitivement. L’a-t-il fait ? Quel résultat a-t-il obtenu ? Autant d’inconnues car je ne lui ai pas téléphoné depuis huit jours. Je le fais ce soir et seulement alors je serai fixé sur les dilemmes créés par votre lettre de ce matin.
La “guerre des nerfs” rebondit, mais cette fois c’est moi qui suis plus calme et Claire plus émue et c’est pourquoi elle ne vous écrira qu’après le téléphone de ce soir.
Nous sommes, elle et moi, bien coupables vis-à-vis de vous. Claire est une fille dénaturée et moi, en attendant le jour où je serai votre fils — même dénaturé —, je suis tout bonnement un grossier personnage, de ne vous avoir pas écrit. Mais nous avons tous les deux beaucoup travaillé, et aussi idiot que cela puisse sembler, j’ai déjà passé à Claire un de mes défauts, celui
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