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Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Wiazemsky
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victime d’un malaise, ont voulu lui venir en aide. Devant son mutisme farouche et son regard hostile, ils se sont résignés à s’éloigner. « Chagrin d’amour », a murmuré l’un d’entre eux.
    Cette phrase que Claire a entendue résonne à ses oreilles. Elle la répète plusieurs fois pour mieux en comprendre le sens. Parce qu’elle s’applique à respirer lentement, l’étau qui sert sa poitrine se relâche et les souvenirs affluent, précis comme des photographies. Elle revoit les parents de Wia, leur appartement. Deux mots s’imposent comme une ritournelle : laideur et pauvreté, pauvreté et laideur. Dix minutes à peine lui ont suffi pour enregistrer le désordre de la pièce ; l’ameublement hétéroclite ; les châles, les gravures, les bibelots qu’elle juge de très mauvais goût. Mais s’il n’y avait que cela... Elle revoit surtout le couple des parents. Elle ressent dans sa propre chair l’humiliation qu’ils ont éprouvée à s’être laissé surprendre dans des robes de chambre usées, trouées par les cendres des cigarettes. Comment Wia a-t-il pu imaginer que cette rencontre inopinée leur ferait plaisir ? Comment n’a-t-il pas vu les larmes dans les yeux de sa mère, les gestes maladroits qu’elle avait eus pour tenter d’enlever ses ridicules bigoudis... C’est Claire qui, dans un élan de pitié, de sincère pitié, avait eu le réflexe d’aller vers la femme, de l’embrasser et de s’excuser pour cette malheureuse intrusion. Elle se souvient encore avoir accepté du thé servi dans une très belle porcelaine ancienne ébréchée... Puis elle avait pris congé en prétextant l’automobile qu’elle devait déposer au garage. Leur soulagement, alors... L’empressement avec lequel ils l’avaient accompagnée jusqu’au palier... L’air béat de Wia...
    « Quel crétin ! dit Claire à haute voix. Quel sinistre crétin ! » Elle songe avec colère et amertume qu’à aucun moment il n’avait éprouvé l’ombre d’un malaise, perçu l’effroi qui régnait chez elle comme chez ses parents. Il avait improvisé cette rencontre, il avait décidé qu’elle serait heureuse et sans doute l’était-elle à ses yeux. Son aveuglement achevait de rendre dramatique cette désastreuse matinée. Dramatique et ridicule.
    Claire allume une cigarette. Avec une lucidité glacée elle compare sa famille à celle de Wia. Il ne s’agit pas seulement de deux nationalités différentes, il s’agit de deux mondes qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Sur le banc de la rue La Fontaine, elle se trouve exactement à mi-chemin entre l’appartement du 38 avenue Théophile-Gautier et l’appartement du 12  bis rue Raynouard. Cet ironique hasard géographique ne la fait pas rire mais la ramène à son programme de la matinée. N’avait-elle pas prévu, elle aussi, d’arriver à l’improviste chez ses parents, leur faire la surprise de sa brève présence à Paris ? Dans une sorte de dédoublement, elle s’imagine leur annoncer la rupture de ses fiançailles. Car c’est précisément à cela qu’elle songe. D’autres images l’assaillent. Elle se revoit un an auparavant, sur un banc près du pont Alexandre-III, fiancée à Patrice et découvrant qu’elle ne voulait pas l’épouser. Elle éprouve aujourd’hui la même étouffante sensation d’être prise dans un piège. « Comme l’histoire se répète », se dit-elle plusieurs fois. Une envie de pleurer la submerge. Elle croit entendre le commentaire des passants peu de temps auparavant : « un chagrin d’amour ».
     
    De retour à Berlin, dans la chambre des cocottes, Claire n’arrive pas à trouver le sommeil. Mistou prend presque toute la place dans le lit et dort d’un sommeil agité. Elle bredouille des mots sans suite, geint en proie à de mauvais rêves. Sur le tapis, le chien Kitz est allongé de tout son long et émet parfois quelques grognements. Il a fait à Claire une fête démesurée à laquelle elle a répondu avec gratitude. Elle a passé sous silence sa rencontre avec les parents de Wia, elle a menti à propos de ses parents à elle. Comment avouer qu’elle n’était pas allée les voir et qu’elle avait préféré se promener seule, le long de la Seine, en fumant cigarette sur cigarette ? C’est durant cette longue errance qu’elle avait mesuré tout ce qui la séparait de Wia et qui rendait peut-être impossible leur union. Elle avait aussi décidé de n’en parler à

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