Mon Enfant De Berlin
Paris. Je n’ai pas encore pu parler sérieusement avec lui. Mais je crois qu’il y a 99 chances sur 100 que nous soyons encore là en mai. Dans quelques jours je saurai si tout peut se passer ici dans les meilleures conditions. Si oui, il naîtra à Berlin. Tant pis ! À Paris, il me semble que je serais obligée de vous encombrer au moins pendant deux mois car je ne pourrais pas arriver la veille et repartir le lendemain. Et imaginez les ennuis pour vous et papa. Ce serait tellement plus simple pour vous de recevoir un coup de téléphone.
Et puis ce n’est pas beau, une femme enceinte, et encore moins beau une femme qui accouche. J’aimerais tellement mieux paraître devant vous, papa et mes frères avec un enfant dans les bras et un ventre plat. Ceci dit, je serai peut-être obligée de vous faire passer une nuit blanche. Espérons que non !
Je vous serais plus que reconnaissante si vous achetiez tout ce qui me manque pour l’enfant.
Tous ces jours-ci, j’ai été assez fatiguée et j’avais d’affreuses crampes au ventre la nuit. J’imagine que ce n’est rien mais demain soir j’aurai les résultats d’une analyse et après j’irai voir un médecin. L’enfant grandit très, très lentement mais sûrement. J’ai l’impression qu’il a de grandes difficultés à faire sa place, mais il est heureusement plus fort que mon pauvre ventre.
Je rêve une chose, j’en suis presque malade tellement j’en ai envie : courir sur une plage, en plein été, sentir mon corps à moi, rien que mon corps, me jeter dans l’eau, me détendre, me fatiguer, me sentir moi !
C’est affreux, je pense très peu à l’enfant et je ne l’aime pas encore.
Wia vient de rester une dizaine de jours tout seul à la tête de la maison, avec tous les jours des séances extraordinaires en vue de la conférence de Moscou. Il n’est pas très gros, pas très beau mais content de son travail. Son humeur est souvent massacrante, mais il la garde pour les autres car avec moi il est adorable.
Il fait pleurer toutes les secrétaires les unes après les autres et engeule le reste de la maison. Il n’y a que moi et ses chiens qui bénéficions d’un régime de faveur. Malgré cela, tout le monde l’adore ici.
Je vous quitte en vous embrassant de tout mon cœur ainsi que papa naturellement.
Votre petite fille qui vous aime.
P.-S. : Impossible de vous téléphoner le 1 er janvier, la ligne n’était que pour les grands personnages et les cas urgents.
La lettre de mon petit Grec est adorable. »
Claire contemple avec attendrissement une photo de groupe, prise il y a une semaine. Elle pose au bras d’un maigre jeune homme qui s’appuie sur des béquilles et qui la fixe avec amour. Plumette, Rolanne et Mistou les entourent. Il neige, tous ont l’air frigorifiés. On devine en arrière-plan l’ambulance qui va conduire le jeune Grec à l’aéroport. Grâce à la lettre qu’il vient de lui faire parvenir, Claire sait maintenant qu’il a trouvé une place dans un hôpital de La Haye où l’on espère guérir sa tuberculose.
Lettre de Claire :
« Berlin, 24 janvier 1947
Ma maman,
Un tout petit mot car quelqu’un prend le train dans quelques instants. Il sera du reste utilitaire : excusez-moi.
J’ai été hier voir le médecin que j’avais vu : il m’a trouvée très bien. D’après lui, l’enfant doit naître le 12 mai (mais pourquoi juste le 12 ! Moi, je crois entre le 15 et le 19). Je crois que j’accoucherai dans une clinique qui a l’air très bien et qui est tenue par des sœurs. Mon analyse est naturellement très bonne.
Voilà maintenant un tas de choses à faire et je m’en excuse.
1) Vous a-t-on téléphoné pour vous dire que je trouvais la veste jaune très jolie ? Surtout que la couturière ne la fasse pas trop étroite.
2) Je vous envoie l’ordonnance de P. Pourriez-vous lui téléphoner pour lui demander s’il faut la refaire ou la changer. Vous serez gentille d’acheter ce qu’il faudra et de me le faire parvenir par la personne qui vous téléphonera.
3) Il me faudrait de la laine, blanche si possible, 4 fils et 3 fils. Je n’ai que 5 fils. Si je pouvais aussi avoir des aiguilles à tricoter.
Pauvre, pauvre maman, si vous saviez comme je m’excuse.
Merci mille fois pour les pommes et les endives (quelle merveilleuse salade nous avons mangée : la première depuis Paris) et le sucre. Vous êtes un amour.
Pour aller avec la veste
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