Mon Enfant De Berlin
l’homme important.
Encore une fois, bon Noël ma maman adorée.
Votre toute petite Claire. »
« 30 décembre 1946
Ma maman,
Bonne année. Cette lettre vous arrivera naturellement en retard, mais j’ai été assez grippée tous ces jours-ci et je n’avais pas le courage de prendre la plume. J’espère que vous avez eu un bon Noël et que vous aurez un bon 1 er janvier.
Il y a aujourd’hui exactement un an que vous avez vu Wia pour la première fois. J’arrivais à Paris et j’avais alors deux longs mois à passer avec vous. Je ne sais pas quand je viendrai vous voir. Je ne sais même pas si Wia prendra des vacances. Il a beaucoup de travail, ne veut pas se faire remplacer, ni aider. Il joue un peu à l’indispensable. Au fond, s’il aime ça, tant pis pour lui. Mais il a mauvaise mine, perd ses cheveux et vieillit presque à vue d’œil. Malgré cela, il est assez adorable et nous ne nous disputons jamais.
À part cette grippe, ma santé est bonne. En deux nuits, j’ai terriblement grossi. Je ne sais pas si vous vous souvenez d’une gravure de la grosse Bible de grand-mère qui était sur la table au fond du salon. Elle représentait Samson une main sur chaque colonne du Temple et celui-ci s’écroulait sous sa pression. J’avais cette même impression. L’enfant poussait de toutes parts et tout craquait en moi. Je crois qu’il sera fort car je suis dure et coriace et il a un mal fou à faire sa place. Il est aussi d’une nervosité infernale, enfin il sera le digne fils de son père.
J’ai vraiment la chance de pouvoir mener la vie que j’ai en ce moment. Je ne sais pas ce que je ferais si je devais travailler. Songez que le matin, on m’apporte mon petit déjeuner au lit et qu’après être passée dans les mains d’une bonne masseuse, je prends un bon bain. Je ne peux pas dire que je m’amuse énormément mais qui est-ce qui s’amuse ? Je suis très vite fatiguée et la moindre sortie fait drame pour moi. À propos de sortie, je pense à la veste. Ce vert n’est pas mal mais avec quoi la mettrai-je ? Au fond, il me semble qu’il me faudrait quelque chose que je puisse mettre le soir et qu’est-ce que je pourrais mettre sous ce vert ? À propos, j’espère bien que vous vous êtes servie de mon manteau de fourrure pendant ces grands froids.
Ma maman adorée, je vous embrasse de tout mon cœur en vous souhaitant ainsi qu’à papa une très, très bonne année.
Votre petite Claire. »
Des verres, des bouteilles vides, des assiettes traînent encore ici et là dans les différents étages du 96 Kurfürstendamm. Ce sont les restes du réveillon du 31 décembre 1946 qui a réuni chez les Français beaucoup de responsables américains, anglais, russes des armées alliées. Comme l’écrivait Claire à ses parents, les habitants de l’immeuble s’étaient réjouis de constater à quel point ils étaient aimés, à quel point la France de la collaboration était oubliée au profit d’une autre France, celle des lendemains de guerre, la leur, ici, à Berlin. Le temps d’une nuit, Américains et Russes avaient de nouveau fraternisé. On avait oublié les menaces de plus en plus réelles d’une prochaine guerre entre les deux grandes puissances.
Tout le monde s’est levé un peu tard en ce 1 er janvier 1947. Rolanne et Plumette prennent leur petit déjeuner dans la cuisine. Elles n’ont pas réveillé Mistou, la dernière couchée, sacrée « reine de la fête » et qui a dansé jusqu’à l’aube, jusqu’à l’épuisement.
Claire qui vient de les rejoindre somnole encore. Elle a remporté un grand succès en jouant de l’accordéon, en faisant chanter dans toutes les langues ses camarades de l’immeuble et leurs invités. Elle avait pour cela répété en cachette, ses progrès avaient surpris tout le monde.
— On ne te savait pas si musicienne..., commence Rolanne.
— ... bonne pour le théâtre aux armées, complète Plumette.
— Chez les Américains ? Avec mon gros ventre ? Ah, non !
— Viens donc le sortir, ton gros ventre !
Wia suivi des deux chiens fait irruption dans la cuisine. Il a déjà monté son cheval favori, son visage est rougi par le froid, la vitesse, le plaisir de vivre : c’est son jour de congé, le premier depuis longtemps et il a l’intention d’en profiter. Claire feint de protester.
— C’est invraisemblable, une forme pareille après tout ce que tu as bu cette nuit !
Mais elle quitte sa
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