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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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aucun isolationnisme ou nationalisme. Il devra y avoir une collaboration active basée sur la sécurité collective pour toutes les nations.
    Je lui demandai si d’après lui il existait quelque chance de mettre un tel programme à exécution.
    — Pourquoi pas ? Regardez les résultats obtenus par les Anglo-Américains. Ne pouvons-nous leur emprunter les institutions qui les ont rendus puissants et qui ont valu la démocratie et la liberté à des centaines de millions de gens ? Je compte sur l’Amérique et sur l’Angleterre.
    Il était, à cette époque, rempli d’optimisme quant à l’avenir. C’était la fin du mois de janvier 1943 et il revenait d’un voyage en Amérique où ses entretiens avec le président Roosevelt avaient apparemment été à la fois importants et réconfortants. De même il avait, à son retour, été reçu par Winston Churchill.
    Je lui demandai alors ce qu’il pensait des futures relations russo-polonaises clxx . Il réfléchit quelques instants, puis se leva et, tout en arpentant la pièce de long en large, me répondit en pesant ses mots :
    — Personne actuellement ne peut prévoir comment évoluera la situation. Ma politique personnelle a toujours été fondée sur la nécessité d’une collaboration entre toutes les Nations unies. En tant que Premier ministre et en tant que Polonais, je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour faciliter cette collaboration. La Pologne désire coopérer avec la Russie soviétique pendant et après la guerre. Non pas parce que la Russie est puissante, mais parce que cette coopération sera profitable à l’Europe tout entière. Je parle naturellement d’une Pologne libre et souveraine, gouvernée par ses propres représentants et régie par ses propres lois, ses traditions et sa culture propres.
    Lorsque je pris congé de Sikorski, il me déclara :
    — Jeune homme, vous avez durement travaillé pendant cette guerre. Pour ce que vous avez fait, vous serez décoré de l’ordre de Virtuti Militari clxxi . La cérémonie aura lieu après-demain. Mais parce que je vous ai rencontré en des jours d’épreuve, parce que votre regard me plaît et que personnellement je vous aime bien, je voudrais que vous acceptiez ce porte-cigarettes. Ce n’est pas le Premier ministre ni le commandant en chef qui vous fait ce cadeau, c’est un vieux monsieur qui a eu sa part d’épreuves, qui a connu bien des désillusions et des heures sombres dans sa vie, qui est très las et qui apprécie la valeur de l’amitié et du dévouement. Ce cadeau vous est fait par un homme qui aime la jeunesse, cette jeunesse qui reconstruira une Pologne nouvelle et un monde nouveau.
    Il alla à son bureau et prit dans un tiroir un porte-cigarettes en argent portant sa signature gravée. Il me le tendit avec un bon sourire. J’étais à la fois rempli de fierté et intimidé. Il me serra la main et ajouta en souriant :
    — Allez, maintenant, et reposez-vous un peu. Ne vous laissez pas surmener par toutes ces conférences et ces rapports. Ne laissez pas les Alliés réussir là où la Gestapo a échoué. Vous avez les traits tirés et vous paraissez amaigri, je n’aime pas cela. J’ai entendu dire aussi que vous aviez perdu plusieurs dents, cela ne convient guère à un jeune homme et à un brillant officier, il faudra que vous arrangiez cela. Nous ne sommes pas si pauvres que nous ne puissions remplacer au moins les dents arrachées à nos combattants de l’ombre. J’étais déjà sur le point de sortir quand il se souvint : Oh ! oui, montrez-moi aussi vos poignets.
    Il regarda les cicatrices des coupures de lames de rasoir faites dans la prison de la Gestapo.
    — Ils restent bien abîmés, dit-il. À ce que je vois, la Gestapo vous a décoré elle aussi à sa façon. Vous aurez des choses à vous rappeler.
    — Mon général, mes poignets ne me font plus mal, répondis-je, mais je n’oublierai pas, je vous le promets, et les enfants de mes enfants non plus n’oublieront pas.
    Ma réponse ne fut pas tout à fait à son goût :
    — Je vois, remarqua-t-il avec une certaine tristesse, que vous êtes de ceux qui ne pardonnent pas.
    Trois jours après mon rapport au général Sikorski, j’eus le grand honneur d’être décoré de la croix de Virtuti Militari, qui constitue la plus haute distinction militaire polonaise. La cérémonie eut lieu dans l’immeuble du cabinet polonais, au 18, Kensington Palace Gardens. Plusieurs membres du gouvernement

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