Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
jeunes gens, qui chuchotaient entre eux.
Je me dirigeai vers un bureau où était assise une charmante jeune fille.
— Je voudrais avoir une entrevue particulière avec le consul général.
Elle me regarda attentivement.
— Quel est votre nom ?
Je lui donnai le nom qui m’avait été transmis dans le message radio me concernant et j’ajoutai :
— C’est extrêmement urgent.
Elle revint au bout de dix minutes m’informer que le consul général allait me recevoir. La pièce où elle m’introduisit était grande et bien meublée. Derrière le bureau était assis un homme âgé, d’aspect affable, qui me détailla soigneusement puis me demanda :
— Parlez-vous espagnol ?
— Malheureusement, non.
— Parlez-vous anglais ?
— Oui.
— D’où venez-vous et que voulez-vous ?
— Je viens voir tante Sophie.
— Quel est votre nom ?
— Karski.
Il continua à me questionner.
— Avez-vous quelque papier qui permette de vous identifier ?
— Je croyais que ce serait mes paroles qui m’identifieraient.
— Parfait, monsieur Karski. Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue, presque sur le sol allié. Je voudrais vous exprimer toute l’estime que j’ai pour ce que, non seulement vous, mais tous vos camarades de Pologne avez fait pour contribuer à notre victoire.
Il s’ensuivit une conversation franche et cordiale. Nous discutâmes des conditions de vie en Europe occupée, des méthodes de domination qu’appliquaient les Allemands et des moyens de résistance que leur opposaient ceux qu’ils cherchaient à dominer. Il menait la conversation avec beaucoup de tact et de finesse, aussi amicalement que possible, sans effleurer de sujets embarrassants pour moi et sans poser de questions auxquelles je n’étais pas autorisé à répondre.
Il me fournit les certificats et les papiers nécessaires et me mit entre les mains d’un secrétaire qui devait m’aider à acheter des vêtements convenables.
J’étais sur le point de le quitter, quand je lui demandai si, en cas d’arrestation, on serait à même de prouver que mon séjour dans ce pays était légal. Il me répondit avec un sourire subtil et charmant :
— Jeune homme, beaucoup de choses ont changé ces deux dernières années. Naguère, vous auriez sans doute été jeté en prison ou livré aux Allemands. Maintenant, le pire qui puisse vous arriver c’est de rester sous clef un jour ou deux jusqu’à ce que nous intervenions. Voyez-vous, plus nous approchons de la victoire, plus nous avons l’amitié de ce gouvernement…
Le secrétaire m’escorta vers une limousine étincelante portant les initiales CD (corps diplomatique) sur la plaque d’immatriculation. Nous roulâmes environ huit heures et nous fîmes halte à Madrid devant une magnifique villa du quartier des ambassades. Mon hôte était un homme d’âge moyen, accueillant et cultivé, dont je n’ai jamais pu déterminer les fonctions exactes à l’ambassade britannique. Il parlait couramment à peu près toutes les langues d’Europe. Sa femme était très belle. Après trois jours fort agréables, durant lesquels arriva un message de mon gouvernement assurant qu’il était au courant de mes déplacements, mon hôte m’apprit que j’allais partir pour Algésiras cette nuit. Il me remit des papiers et un certificat ; je serais cette fois un Espagnol qui allait voir sa famille. Deux autres Espagnols m’accompagneraient. Il me prévint :
— Dans le train, il y aura un contrôle de police. Faites semblant de dormir et tendez vos papiers comme si vous étiez à moitié réveillé. Il est probable que vous ne serez pas interrogé. Si vous l’êtes, vous serez certainement arrêté. Dans ce cas, vous êtes un soldat allié échappé d’un camp allemand. Si l’on vous demande d’où viennent ces papiers, donnez le premier nom français de la première ville française à laquelle vous penserez. N’essayez pas de parler à vos gardes du corps et soyez tranquille. Ils nous préviendront si vous êtes arrêté et nous prendrons soin de vous.
— Cela me paraît assez simple, dis-je.
— C’est un jeu d’enfant après la Pologne, répliqua-t-il.
Le soir, je me préparai à partir. Un de mes gardes du corps me fut présenté. Il s’en alla le premier et attendit près de la maison. Quand je sortis, il se remit à marcher et je le suivis jusqu’à un arrêt de tramway, puis dans le tramway je me plaçai loin de lui. La technique des
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