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Monestarium

Monestarium

Titel: Monestarium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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qu’il n’omettait jamais d’emmener. Cette fermentation de miel et d’eau à
laquelle on ajoutait du vin blanc ou de la gnaule et des aromates afin de la
conserver coupait les jambes du plus robuste gaillard. Les journées d’un
chasseur d’abbaye, à courir les bois, étaient longues et rudes. Surtout le
froid venu. Le gibier se faisait rare. Aussi Nicol avait-il dû apprécier
l’hydromel jusqu’à la dernière goutte.
    Petit Jean se fit la réflexion que
les choses allaient parfois bizarrement. N’est-il pas étrange que ce soit à
l’été que la viande sur pattes abonde alors que les estomacs se contentent de
moins ? Nicol était le nouveau chasseur des Clairets. Son prédécesseur
vieillissant avait un peu trop traîné face à la charge d’un tiers an [84] ombrageux, oubliant que, malgré sa masse, un sanglier court presque aussi vite
qu’un lièvre.
    L’animal, rendu fou par un coup de
lance, n’avait laissé qu’une bouillie sanglante de l’homme.
    Nul laïc, surtout masculin, n’était
admis dans le cloître. Seuls y étaient tolérés, dans quelques bâtiments ou
galeries, les invités de marque de l’abbesse. En d’autres termes, Nicol,
toujours coiffé de son bonnet de chasseur en peau, livrait ses proies devant
les cuisines et devait être peu connu, sauf de la sœur pitancier, des aides de
cuisine et du cellier ? [85] De ces derniers, Petit Jean faisait son affaire. Un joli bobard et un bon
gorgeon devraient les convaincre qu’il remplaçait quelque temps son bon cousin
le Nicol, blessé lors d’une de ses chasses.
    Les bois des moniales regorgeaient
de proies qu’elles ne partageaient avec personne. Tout juste
distribuaient-elles aux plus pauvres le pain raté [86] , dont nulle, même
pas une de leurs catins repenties, n’aurait voulu. Du moins était-ce ce qu’on
lui avait affirmé. Les moissons des deux dernières années avaient été
catastrophiques [87] .
On voyait parfois des enfants au ventre gonflé par les galettes de paille, de
farine de gland, d’écorces d’arbres et d’argile [88] parcourir la
campagne à la recherche de baies, de racines, de tout ce qui pouvait s’avaler
sans en crever. Même le pain du pauvre, fait de méteil, d’orge et de seigle à
peine tamisé devenait un luxe. Les grosses fermes voisines et les manoirs
offraient au soir leurs tranchoirs [89] imbibés de sucs et de graisse de viande, plutôt que de les lancer aux chiens.
Et ces grenouilles de baptistère faisaient bombance, prétendait-on.
    Si l’extrême richesse du clergé
irritait certains en période faste, elle indignait et rendait hargneux la
plupart en ces temps de presque disette [90] . Des rumeurs
circulaient. Il ne se passait pas de jour sans que l’on montre du doigt un
couvent ou un prélat. La majorité d’entre eux étaient bien gras, pleins de
sang, richement vêtus. Ils parcouraient la campagne affamée dans leurs fardiers
couverts tirés à quatre chevaux de Perche, exhortant les riches comme les plus
pauvres à donner pour leur salut. Certains avaient acquis à bon compte des
hôtels particuliers de ville, menaient grande vie et tenaient belle table grâce
aux offrandes. Quant à l’abstinence de chair, d’aucuns en avaient une
conception toute personnelle. Certes, la position de l’Église concernant le
nicolaïsme [91] s’était considérablement raffermie. Qu’à cela ne tienne ! Quelques
prélats, que la perspective d’un durable célibat n’enchantait pas, étaient
juste devenus plus discrets. Leurs jeunes maîtresses ou leurs jolis damoiseaux
logeaient dans les charmants appartements des demeures bourgeoises plantées
autour des cathédrales. On murmurait que même le souverain pontife éprouvait
une fougueuse affection pour l’éblouissante Brunissende Talleyrant de Périgord [92] ,
laquelle lui coûtait fort cher.
     
    La nuit était dense lorsque Petit
Jean le Ferron parvint à proximité de la bicoque de Nicol le Jeune. Nulle lueur
n’éclairait l’intérieur. Sa femme était morte en premières couches un an plus
tôt. C’était aussi bien. Il devait être proche de vigiles*. L’hiver était
arrivé en trombe cette année, prenant d’assaut les vestiges de l’automne. Une
pellicule de givre recouvrait l’herbe. Une bise cinglante s’était levée et
l’haleine de son cheval lui couvrait les cuisses à chaque expiration de
l’animal.
    Petit Jean calma son amertume. Le
monde était ainsi fait. Mieux valait s’en accommoder en tentant

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