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Monestarium

Monestarium

Titel: Monestarium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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le cabaretier s’était tiré d’une incommode enseigne. Un
mâtin : l’image était flatteuse. Pourtant, il ne doutait pas que ses
clients l’appelassent « le Pisseur » lorsqu’ils étaient hors de
portée d’oreilles.
    Trois commères étaient attablées
devant leurs gobelets de vin lorsqu’il plia sa haute et robuste carcasse pour
passer sous la porte. Elles firent silence à son entrée, le détaillant à
l’instar d’une taure [80] à la vente. Une moue admirative flotta sur les lèvres de la plus jeune et la
plus gironde alors qu’elle évaluait sa carrure de lutteur de foire. Puis leurs
regards frôlèrent le visage de Petit Jean et s’en détournèrent à la hâte.
L’aigreur le saisit à la gorge. Encore et toujours ces regards dont on avait
l’impression qu’ils se brûlaient lorsqu’ils frôlaient son mufle. Ce mufle avait
été à l’origine de toute chose. Sa bestialité effrayait, répugnait. Et ils
avaient raison d’être effrayés. Ils ne savaient pas à quel point.
    Maître Mâtin se planta à quelques
pas de lui. Oserait-il ? Oserait-il lui ordonner de sortir ? Certains
l’avaient tenté, pour le regretter. Sans doute le tavernier sentit-il que tout
mâtin qu’il se prétendait, il valait mieux faire échine basse. Le visage fermé,
il déposa devant ce client dont il se serait volontiers passé un cruchon de sa
piquette, puis tourna les talons. Les trois mégères vidèrent le leur bien vite,
la mine sombre. Leur envie de caqueter et de gouailler leur était passée. Elles
sortirent sans un autre regard pour la masse attablée.
    — Maître Mâtin, héla Petit
Jean, prépare-moi une chambre pour quelques heures afin que je m’y repose. Je
partirai au soir échu.
    L’autre réapparut dans la salle et
grommela, le front buté :
    — J’en ai plus d’libre.
    — Me la baillerais-tu belle [81] ,
gargotier ? Ta masure serait-elle prise d’assaut ? Je n’ai point vu
d’autre monture que la mienne.
    — Plus d’libre, s’entêta
l’autre, baissant encore le ton.
    Il crevait de trouille. Petit Jean
le sentait à sa voix chancelante, à ses mains qu’il avait croisées sur son gros
estomac afin de les empêcher de trembler. D’une voix tranchante comme le fil
d’un coutelas, il insista :
    — Serait-ce ma trogne qui
t’offusque, seigneur le Pisseur ? Ou peut-être que je pue trop fort ?
    — Maître Mâtin, rectifia
l’autre en essuyant d’un revers de main la sueur qui lui dévalait du front.
    Le tenancier n’eut que le temps
d’écarquiller les yeux. Une poigne brutale le propulsa contre le mur et se
referma en étau sur sa gorge. Il balbutia :
    — Si fait, j’ai une chambre, la
meilleure… Gratuite pour vous, seigneur. Lâchez-moi, pour l’amour de Dieu.
    — Que sais-tu de l’amour de
Dieu, vermine ?
    D’abord, l’étau de chair et de
fureur se resserra. Maître Mâtin voulut hurler à l’aide. Aucun son ne parvint à
se faufiler dans sa gorge. La tête lui tourna, et il crut sa dernière minute
arrivée. Puis l’étreinte se relâcha d’un coup, et il tomba sur le sol en terre
battue comme un paquet lesté. Soudain jovial, Petit Jean le Ferron
déclara :
    — Et tu n’auras même pas à faire
brûler la paille de mon matelas, ni à asperger le sol de ton taudis d’eau
bénite. Il ne s’agit pas de la ladrerie, vilain rat !
     
    Lorsqu’il ressortit, rassasié et un
peu moins las, son cheval sellé l’attendait. Le gamin lui tendit les rênes, un
air mariole sur le visage. Petit Jean hissa sa masse en selle et
s’enquit :
    — De quoi te réjouis-tu,
galapiat ?
    — De la scène de tantôt. Je
vous rendrais bien vos deniers pour y avoir assisté. Toutefois, ce serait folie
de ma part, mais l’intention y est. Il faisait plus le malin, le Mâtin. J’ai
bien cru qu’il allait se pisser dedans ses chausses. Ça faisait longtemps que
j’attendais ça. Grand merci à vous.
    Petit Jean le considéra, le visage
dépourvu d’émotion. Talonnant le cheval, il lança :
    — Ta mauvaiseté devrait-elle me
flatter ? Écarte-toi, car l’envie pourrait me prendre de t’écraser comme
un insecte. Roupie [82] que vous êtes tous deux, le Pisseur et toi.
    Il s’élança vers sa prochaine étape.
Une masure de chasseur, située non loin de l’abbaye de bernardines des Clairets.
La masure de Nicol le Jeune.
     
    Nicol le Jeune devait dormir à
poings fermés, grandement aidé en cela par la gourde d’hydromel vineux [83]

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