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Monestarium

Monestarium

Titel: Monestarium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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brouillard. La grande prieure, sans doute flanquée de son inséparable
Aliénor de Ludain, ouvrait un huis dont elle n’était pas censée posséder les
clefs, et discutait avec un laïc. À l’évidence, un rendez-vous secret. En dépit
du plaisir qu’elle aurait eu à croire à une faiblesse de chair de la part
d’Hucdeline, la mise de l’homme en faisait un serviteur, pas un amant. Surtout
pas de l’exigeante damoiselle de Valézan. D’autant que la rigueur religieuse
d’Hucdeline pouvait difficilement être mise en doute. Dommage. Or donc, pour
quel dessein se rencontraient-ils ?
     
    Mélisende de Balencourt considéra la
jeune fille assise en face d’elle. Tout de cette Angélique Chartier aurait dû
lui déplaire. Son intarissable gaîté, sa joliesse, sa bonté et même l’affection
de plus en plus exclusive que lui portait Claire Loquet. Aux yeux de madame de
Balencourt, Angélique était la preuve qu’elle avait toujours redouté de
rencontrer : le mal pouvait épargner certaines créatures. Pis, il n’avait
aucune prise sur elles et glissait sur leur armure d’ange. Pourquoi ?
Pourquoi cette très jeune fille avait-elle été distinguée pour être et demeurer
une pure quand elle n’avait rien fait de particulier pour le mériter ? Un
ressentiment difficile à contrôler crispa la grande femme décharnée par les
privations. Les voies du Tout-Puissant étaient impénétrables, et souvent
blessantes. Elle rampait depuis si longtemps dans le fumier, elle se fustigeait
au propre et au figuré pour recevoir ne serait-ce qu’un signe ténu qui lui
prouve qu’elle avait enfin rejoint Son sein. Après, elle pourrait mourir enfin,
en paix. Rien ne s’était manifesté. Sans doute rien ne lui serait-il jamais
destiné. Et ne voilà-t-il pas qu’une autre peine lui était infligée
aujourd’hui : Angélique Chartier requérait avec toute sa modestie et son
enthousiasme de rejoindre les moniales du cloître de La Madeleine, puisqu’elle
venait de prononcer ses vœux définitifs. Que choisir ? Accepter,
s’infliger une permanente cohabitation avec un être qui avait tout reçu alors
qu’il n’avait rien revendiqué ? Ou refuser ?
    — Qu’en pensez-vous,
madame ? insista Angélique. De grâce, acceptez ma requête. Mon travail
parmi vous toutes fut une révélation. Je me suis sentie tellement justifiée de
mon choix que j’en suis presque grisée. Comprenez-moi… le jour où j’ai passé la
porterie Majeure des Clairets, accompagnée de mon père – le cher brave homme,
si fier de moi et pourtant si désolé de me perdre –, ma vie s’est illuminée.
Pourtant, je me suis laissé porter, bercer. J’ignorais où j’allais. Je savais
juste que des flots bienveillants prenaient soin de moi. Si vous saviez… il est
si malaisé de le décrire…
    — Si notre mère approuve votre
choix…, s’entendit prononcer Mélisende sans même le souhaiter.
    — Oh ! son approbation et
ses vœux de réussite me sont acquis. C’est une femme admirable.
    Angélique pouffa avant de
poursuivre :
    — Savez-vous que je l’ai
trouvée bien jeune… Comme je me suis leurrée. Il y a… il y a derrière ce front
juvénile une sagesse millénaire. On dirait que les secrets de la vie et des
âmes s’y sont accumulés.
    — Certes, lâcha la grande
prieure d’un ton plus sec.
    Elle n’aimait pas Plaisance de
Champlois. Celle-ci représentait à ses yeux la compassion théorique, celle qui
s’exerce aussi bien au profit des innocents que des coupables. Or, il faut
avoir souffert dans sa chair pour connaître la différence entre les deux clans.
    — Eh bien soit. Vos vœux
définitifs étant maintenant prononcés, vous n’ignorez pas qu’aucune des corvées
nous incombant ne vous sera épargnée.
    — Je le souhaite, de tout mon
cœur.
    — Elles incluent les soins aux
lépreux voisins.
    — Je l’avais compris ainsi.
    — Ils sont fort répugnants à
approcher et certains sentent la pestilence à vous faire dégorger. La plupart
des hommes sont rongés par le vice, quant aux rares femmes, elles ont des
mâchoires de louves [93] .
Il faudra vous en méfier. De tous. Notre mission les concernant, gardez-le
présent en tête, consiste à plaire à Dieu. Rien d’autre. D’autant que rien ne
prouve que cette maladie qui leur échoit ne soit pas une punition méritée.
    Angélique se contenta d’acquiescer
d’un vague mouvement de tête. L’aridité de cœur de madame de Balencourt

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