Montségur et l'enigme cathare
de vue ontologique, le dualisme cathare
s’oppose fondamentalement au monisme celtique. D’après tout ce qu’on peut
savoir, la doctrine druidique insiste sur « la ténébreuse et profonde
unité » qui existe entre les êtres et les choses, entre les créatures et
le créateur, entre la matière et l’esprit. Ce n’est même pas la fameuse formule de
la Table d’Émeraude : ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. C’est
une formule plus directe où l’élément comparatif disparaît au profit de l’identification :
ce qui est en haut est ce qui est en bas.
Par conséquent, le monde, pour les Celtes, ce monde visible
apparent, qui est le monde des vivants, est exactement identique à l’Autre
Monde, le monde des dieux, des héros et des défunts. Lors de la fête de Samain , le 1 er novembre, qui est la
grande fête celtique, le Nouvel An, récupérée ensuite par les Chrétiens et
devenue la Toussaint, jour de la Communion des Saints (vivants et morts
confondus), le monde des vivants pouvait communiquer – symboliquement – avec le
monde de l’ailleurs . On pouvait passer d’un
monde à l’autre, témoignant ainsi de cette unité essentielle du visible et de l’invisible.
Et la société terrestre, guidée par le druide allié au roi, doit se conformer
très étroitement à l’image du monde de l’ailleurs ,
celui de la divinité.
Dans ces conditions, cela suppose une vision diamétralement
opposée du monde matériel. L’être n’est pas enfermé dans la matière : il s’épanouit
dans la matière parce que le monde est en perpétuel devenir. Cela exclut toute
idée de chute, toute idée d’emprisonnement, toute idée d’un Satan, esprit du
mal, qui aurait créé un monde imparfait pour caricaturer l’œuvre du Dieu de
Lumière. Satan n’est pas celtique : il est persan. Et si les Chrétiens lui
ont donné l’allure et les attributs du dieu gaulois Cernunnos, le dieu cornu, c’est
qu’ils ne pouvaient pas se débarrasser de cet encombrant personnage exprimant
la force et la fécondité.
Et s’il n’y a pas de Satan, c’est qu’il n’y a pas de
problème du Mal. Les Celtes ne connaissent pas le Mal métaphysique : le
Mal, c’est tout simplement l’imperfection des êtres, imperfection normale dans
une évolution perpétuelle : c’est le Parfait, c’est-à-dire l’ Achevé , qui équivaut au néant. Par conséquent, le
Mal sous toutes ses formes, injustices, violences, souffrances, maladies, ce n’est
que série d’incidents de parcours nécessaires pour parvenir à un stade
supérieur. Car l’absence d’un principe du Mal ne conduit pas au laxisme : bien
au contraire, l’exemple des héros de la mythologie celtique, puis des grands
saints du Christianisme celtique primitif, nous montre l’existence humaine
comme un effort constant de l’être vers quelque chose de plus haut. Alors, il n’y
a nul besoin d’expliquer le monde par la création maléfique de l’Ange révolté, ni
la venue d’un messie montrant le chemin du retour vers le royaume de Lumière. Si
les Celtes se sont facilement convertis au christianisme, c’est parce que la
résurrection de Jésus leur prouvait que leur doctrine de la re-naissance dans
un autre monde était bonne.
Car il s’agit d’une re-naissance dans un autre monde, et nullement
d’une ré-incarnation au sens cathare du terme. Malgré tout ce qu’ont pu
inventer des commentateurs qui n’ont jamais vérifié leurs affirmations dans un
texte celtique authentique, la doctrine de la transmigration des âmes est
totalement inconnue des Druides et de la tradition mythologique des Celtes. « La
mort est le milieu d’une longue vie », faisait dire à un Druide le poète
latin Lucain. Là, c’est l’un des rares points communs aux Cathares et aux
Celtes : ni les uns, ni les autres ne craignent la mort. Parce qu’ils
savent qu’il y a un après , même si cet après n’est pas conçu de la même façon. Mais les
Celtes, au lieu de considérer la vie comme un châtiment, en font le ferment de
l’évolution individuelle [28] .
Cela a une répercussion évidente sur le plan social. Si, pour
les Cathares, le monde, avec ses structures et ses sociétés, est une création
diabolique, la meilleure attitude possible est le mépris envers ce monde, l’austérité,
la continence, le refus de tout plaisir matériel. Il n’y a rien de tout cela
chez les Celtes, où l’on constate au contraire une exaltation de ce
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