Montségur et l'enigme cathare
trouvaient là. Malheureusement leurs témoignages
diffèrent sur l’interprétation à donner aux évolutions de l’avion. Voici ce que
dit Paul Philip, qui était alors le président du syndicat d’initiative de
Tarascon : « Vers midi, nous vîmes ce petit avion décrire un cercle
de fumée blanche qui allait en s’effilochant et revenir ensuite tracer deux
diamètres très approximatifs. Nous en tirâmes la conclusion qu’il avait voulu
tracer une croix celtique. » C’est trop beau pour être vrai. L’écrivain
nationaliste qui se cache sous le pseudonyme de Saint-Loup a écrit de fort
belles choses là-dessus, en brodant allégrement, et cela d’autant plus
facilement qu’il ne se trouvait pas là : mais que ne ferait-on pas pour
glorifier l’amitié germano-celtique ? Quel beau cadeau les Allemands n’avaient-ils
pas fait là aux Gaulois de Montségur ? Il faut quand même remarquer que, depuis,
la croix celtique, d’ailleurs très schématisée, a pris une fâcheuse coloration
et a été utilisée à des fins philosophiques et politiques que les Celtes n’avaient
guère prévues et qui sont, en tout état de cause, absolument contraires à la
mentalité celtique.
Mais le témoignage de Joseph Delteil ne concorde pas :
« Donc, ce 16 mars 1944, au matin, un petit avion à hélice est venu
tourner autour des ruines du château de Montségur, où nous étions rassemblés, corps
présents, mais esprits ailleurs, différents en pensées, comme en rêve, en ce
jour de commémoration du 16 mars 1244. Ce petit avion qui transportait, a-t-on
écrit plus tard, Rosenberg (idéologue théoricien du parti national-socialiste),
a tourné quelques instants, mais je dois apporter témoignage que je n’ai pas vu
une croix dans un cercle, comme on a bien voulu le dire ou l’écrire » [27] .
Delteil est formel : il n’a pas vu de croix celtique. Philip était vague :
il a vu quelque chose, et c’est en discutant que le groupe en a conclu à une
croix celtique.
Évidemment, il y avait Antonin Gadal dans le groupe. On peut
être sûr que le fait indéniable – et normal – de la présence d’un petit avion
de reconnaissance allemand a été déformé par lui au point de devenir une
affaire d’État nécessitant le déplacement d’un haut dignitaire nazi saluant ses
cousins gaulois – aryens – par un jet de fumée évoquant la croix celtique.
Tout cela est grotesque en soi, mais également intolérable, parce
que cela fausse complètement la vérité historique et met en relation – plutôt
fâcheuse en l’occurrence – d’intimité étroite les Cathares, les Druides, le
Graal et le nazisme. Ce n’était pas la première fois qu’on faisait intervenir
les Druides dans le débat. Gadal les voyait partout, et bien sûr comme des
prédécesseurs des Cathares. Et surtout, le fait de localiser le château du
Graal comme étant Montségur ne pouvait qu’ouvrir toutes grandes les portes du
celtisme. Il fallait à tout prix trouver des Druides à Montségur, à Ussat et à
Rennes-le-Château.
Et on en a trouvé.
C’est pourquoi il importe de remettre les choses au point. Non
pas qu’il n’y ait point eu de Druides sur ce territoire au temps où il était
occupé par des peuples gaulois, Volques Tectosages ou Rhedones : le
contraire serait plutôt étonnant, et le pays, très à l’écart, avec des forêts
et des sommets, se prêtait magnifiquement au culte druidique. Seulement voilà :
les Druides ont laissé encore moins de traces visibles que les Cathares, ce qui
n’est pas peu dire, et surtout pas les monuments mégalithiques qui sont
antérieurs d’au moins deux millénaires aux Druides. Si ces Druides ont laissé
le souvenir de leur présence, ce n’est pas dans des écrits – puisqu’ils
refusaient l’usage de l’écriture – mais dans quelques objets d’archéologie et
dans les noms de certains lieux. C’est tout.
S’il existe des rapports entre les Celtes et les Cathares, ce
ne peut être que sur un autre plan, celui de la doctrine, du système de pensée,
et bien entendu de la tradition religieuse qui constitue la charpente de toute
ancienne civilisation. Or, sur ce plan, les amateurs d’amalgames rapides
risquent d’être déçus : ce n’est pas un fossé qui sépare les Celtes et les
Cathares, c’est un de ces fabuleux précipices dont la profondeur est
incalculable et qui abondent dans les Pyrénées, au voisinage de Montségur.
En effet, d’un point
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