Montségur et l'enigme cathare
monde. Satan a lui
aussi l’art de la Parole. Mais il lui manque quelque chose, et sa création ne
pourra être que caricaturale. Il appartient donc à Dieu de re-créer le monde. C’est
même le mythe du Déluge, mais il a été historicisé et rejeté dans le passé
alors qu’il concerne l’avenir.
Il existe également un autre point de concordance entre la
doctrine druidique et la mythologie symbolique des Cathares : celui qui
concerne la Lumière. Le Dieu des Cathares, comme celui des manichéens, et
surtout comme celui des mazdéens, est le roi du Royaume de Lumière. Le dieu
primordial est celui de la Lumière. Nous retrouvons l’Évangile de saint Jean :
« En lui (le Verbe) était la vie, et la vie était la Lumière des hommes. La
lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point reçue (I, 4-5). »
Et Jean en profite d’ailleurs pour affirmer qu’il a été envoyé par Dieu comme
Témoin de cette Lumière, puis il précise : « Cette lumière était la
véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme. Elle était
dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a point connue
(I, 9-10). » Si l’on comprend bien, il y a identification de la Lumière et
du Verbe.
Le problème est pour le moins subtil, et pour le comprendre,
il est indispensable de revenir à la théorie de la Création telle que la
formulaient les Cathares du début du XIII e siècle.
« Tandis que les théologiens catholiques opposent d’ordinaire l’action de “faire”
( facere ) qui signifie fabriquer une chose d’une
autre, à celle de “créer” ( creare ) qui est
proprement “faire quelque chose de rien” ( ex nihilo ),
les Cathares ne voient aucune différence entre facere et creare . Les deux termes sont généralement
associés comme équivalents. Dieu est creator sive
factor , créer ou faire signifiant toujours créer à partir d’une
substance antérieure, préexistante » [29] . Cette conception est
peu compréhensible dans le cadre d’une logique traditionnelle posant le principe
du tiers exclu : si A n’est pas non-A, non-A n’est pas A, et il ne peut y
avoir identification entre ce qui est positif et ce qui ne l’est pas.
Pourtant, les Cathares affirment l’existence éternelle d’une chose qu’on peut appeler substance , laquelle n’est que néant absolu tant qu’elle
n’est pas mise en mouvement par un créateur, qui est aussi un façonneur. À ce
moment de leur démonstration, les Cathares sont obligés d’emprunter aux
mazdéens l’image de la Lumière, éternelle et incorruptible, d’où procède tout
ce qui existe. La référence coule de source, puisqu’on insiste sur le Royaume
de Lumière dont sont issus les Anges déchus, c’est-à-dire les êtres humains. Donc
tout se passe comme si la Lumière originelle s’était répandue autour d’elle-même,
créant et modelant des formes qui, bien qu’ayant leur spécificité, conservent
nécessairement une parcelle de l’énergie lumineuse qui les a provoquées. On
pourrait alors comparer cette théorie de la Création chez les Cathares et celle,
très scientifique, de l’explosion initiale d’où procède l’univers. Les « cent
mille soleils » de l’explosion nucléaire sont devenus les termes d’une
imagerie terrifiante dont la réalité ne peut dissimuler la connotation
mythologique. Dans cette gigantesque explosion, les parcelles dispersées dans l’espace
n’ont donc pas été créées ex nihilo puisqu’elles
appartenaient à la masse primitive, cette Lumière potentielle qui attendait de
se manifester. On en vient donc, chez les Cathares, à reprendre la théorie
gnostique de l’émanation. La création, selon l’opinion du Cathare Jean de Lugio,
est inséparable du créateur comme les rayons du soleil sont inséparables du
soleil : les créatures sont émanées de la
Lumière primitive.
Les conséquences de cette théorie sont visibles sur la
vision eschatologique des Cathares, comme sur leur morale, comme sur leur
vocabulaire dans lequel abondent les références à la lumière et à la blancheur.
Y a-t-il eu des répercussions sur le culte, notamment sur un soi-disant culte
solaire ? C’est moins sûr : les Cathares ne sont quand même pas des
mazdéens. Par contre, leur mythologie est solaire, et c’est ce qui les
rapproche de la tradition celtique.
Mais là encore, il faut se montrer très prudent, et remettre
les choses à leur
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