Montségur et l'enigme cathare
monde, qui est divin dans toutes ses manifestations et que
l’on considère comme un instrument de perfection. À ce moment-là, la morale
devient seulement une série de règles pouvant aider à se diriger vers la
meilleure solution possible. Le bien est tout, et le mal n’est qu’un bien
imparfait, comme c’est le cas dans le Christianisme orthodoxe, même au fond de
la pensée augustinienne. C’est un refus de toute attitude manichéenne : il
n’y a ni bien, ni mal, ni Paradis, ni Enfer, ni Nuit, ni Jour, ni Vie, ni Mort :
il n’y a qu’une seule réalité, mais cette réalité présente de multiples aspects.
La répercussion est non moins évidente à propos de la Nature.
Pour les Cathares, la Nature est mauvaise, foncièrement entachée de toutes les
tares. Ce n’est pas parce qu’ils sont végétariens que les Cathares respectent
la Nature. Ils se contentent de l’ignorer. Au contraire, dans la doctrine
druidique, on assiste à une sublimation de la Nature puisqu’elle est, elle
aussi, manifestation divine. C’est dans le cadre de la Nature qu’on communique
avec Dieu, parce que, là, rien ne s’oppose à la transcendance absolue. Et cela
ne va pas sans un respect de cette Nature, sans une attitude que l’on pourrait
qualifier d’écologique.
Mais la Nature, ce n’est pas seulement la montagne, les paysages,
les rivières, les forêts et les petits oiseaux. C’est aussi l’être humain dans
ce qu’il a de plus corporel. La chair n’est pas maudite : elle est exaltée
au même titre que l’Esprit, puisqu’en définitive, corps et âme ne sont que les
deux faces d’une même réalité. Améliorer le corps, c’est améliorer l’Esprit, et
de toute façon, comme chez les Grecs, l’un ne va pas sans l’autre. Il n’existe
par conséquent aucun interdit sexuel, aucune culpabilité. Les interdits – il y
en a dans tous les systèmes religieux – sont de nature magique et se réfèrent à
une vision globale des rapports subtils entre l’individu et son environnement, sans
connotation morale.
Il est donc bien difficile, à moins d’imaginer complètement
un système druidique – ce que d’aucuns n’ont pas hésité à faire – d’établir des
rapprochements entre le dualisme radical ou mitigé des Cathares et le monisme
intégral des Celtes. C’est seulement sur quelques points de détail qu’une
certaine analogie peut être remarquée. Le plus important concerne la conception
de Jésus : on sait que les Cathares ont imaginé que Marie avait été
fécondée par l’oreille. Cela permettait d’éliminer toute relation sexuelle de
la part de la Vierge Marie, et en même temps cela restait conforme à la
doctrine orthodoxe : c’est l’Esprit saint qui est le géniteur de Jésus, et
symboliquement, cet Esprit saint est représenté sous forme d’une colombe, cette
colombe qui semble avoir joué un rôle dans les « arts plastiques », si
l’on peut dire, des Cathares, avant d’être récupérée par les Huguenots.
Il ne faudrait cependant pas en rester à l’interprétation
habituelle, valable dans le catharisme et dans le christianisme orthodoxe :
elle est au premier degré et ne sert en fait qu’à fixer une image significative.
Elle permet d’éliminer le péché inhérent à
toute procréation. La colombe du Saint-Esprit est bien pratique, et si elle n’avait
pas existé, il eût fallu l’inventer. Mais elle existait bien avant, ne
serait-ce que sous l’aspect de la colombe qui apporte à Noé un rameau d’olivier.
Symbole de paix, dit-on. C’est devenu un symbole de paix, car dans le texte de
la Genèse , et toujours au premier degré, c’est
plutôt un symbole de re-naissance, de régénération. Mais si l’on considère que
le texte est le remaniement d’un épisode mythologique nettement antérieur à l’époque
de sa mise par écrit (comme tout ce qui concerne le Déluge, d’ailleurs), le
jugement doit être révisé.
On sait en effet que Noé et son arche, contenant un couple
de toutes les espèces vivantes et flottant sur les eaux, sont la figuration, nettement
historicisée et rationalisée, d’une déesse primitive, et même primordiale, dont
le nom a probablement été Nuah. Si l’on reprend le mythe dans son essence même,
il est significatif : la déesse Nuah flotte sur les eaux primordiales. Elle
est vierge, bien sûr. Or, à un moment donné, apparaît une colombe tenant un
rameau dans son bec et déposant ce rameau sur l’arche.
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