Montségur et l'enigme cathare
il existe aussi un Christ céleste, pur entre les
purs, archétype de l’Ange rayonnant, dont Parzival-Perceval aperçoit la lumière
surgissant du Graal. Mais Perceval n’a pas posé de question lors de son passage
à Montsalvage-Corbénic, quand il a vu le mystérieux cortège avec la lance qui
saigne, le tailloir d’argent et la « coupe » tenue par une jeune
fille fort belle. Perceval est le type même de l’homme endormi dans les pièges
diaboliques de la matière, et qui ne sait plus qu’il est un Ange. Il faudra qu’un
autre Ange, d’allure féminine, celui-là, lui révèle qu’il a failli. Et cet
autre Ange porte différents noms : dans le texte gallois de la légende, c’est
l’Impératrice aux multiples visages ; ailleurs, c’est la hideuse Dame à la
Mule, ou Kundry la « Sorcière ». Mais Perceval ne savait pas que c’était aussi Mélisande.
Dans tous les textes de la légende du Graal, on nous
prévient qu’il est difficile de découvrir le château où le roi blessé garde le
Vase mystérieux. Parfois, on passe devant ce château sans le voir, aveuglé qu’on
est par les illusions dispensées par Satan ou son enchanteur favori, quel que
soit son nom (sauf celui de Merlin, qui est bien différent, et sur qui le
diable n’a pas prise). Parfois la réalité apparaît si évidente, si apparente, si
lumineuse, qu’il est impossible de la voir. Beaucoup de curieux s’égarent sur
le massif du Tabe ou dans les grottes d’Ussat. Beaucoup de passionnés cherchent
le chemin discret qui mène à la grotte de Marie-Madeleine. C’est la preuve que
beaucoup s’intéressent à quelque chose qui est vivant, quelque chose qui est
enraciné dans cette terre aride. On ne perd pas son temps à chercher des
fantômes, et si fantômes il y a, ils sont simplement le reflet de ce qu’il y a ailleurs .
Le problème est d’éviter les chemins en impasse. Dans un pays
chargé d’histoire, la mémoire ne se perd pas : elle imprègne le paysage, lui
donne une certaine coloration et un parfum spécifique. Mais la mémoire est
infidèle. Elle ressemble aux fées qui guettent les voyageurs et qui les
soumettent à des épreuves avant de décider si elles leur indiqueront la
direction à suivre ou bien si elles les enfermeront dans quelque chausse-trappe.
En ces temps de prophétisme, où l’on nous répète que le XXI e siècle sera mystique ou ne sera pas, les
prophètes abondent à tous les carrefours. Le malheur, c’est qu’ils parlent un
langage incompréhensible au commun des mortels, et quand par hasard ils se
mettent à la portée de ceux qu’ils rencontrent, on s’aperçoit que leurs
prédictions sont contradictoires.
C’est le jeu.
Dans le Parzival de Wolfram
von Eschenbach, le jeune héros, après sa visite manquée à Montsalvage, se fait « initier »
par l’ermite Trévrizent. Celui-ci, entre autres choses, lui raconte qu’autrefois
le Graal était gardé « par des anges qui n’étaient ni bons ni mauvais ».
Mais ensuite, Trévrizent lui déclare qu’il a menti et que ce n’est pas vrai. C’est
un aveu précis, prouvant que l’ initiateur ne
donne pas forcément le chemin à suivre : il livre seulement quelques
bribes de ce qu’il faut savoir, et il mêle aux vérités des mensonges. Si le
nouvel élu est digne de l’être, il trouvera, il démêlera le vrai du faux. Car
jamais un initiateur ne peut se substituer à l’initié : c’est à ce dernier
d’accomplir la quête.
Avant de se lancer dans l’énigme cathare, il est bon de se
souvenir des pièges que tendent les initiateurs, ou soi-disant tels. D’abord, le
véritable initiateur ne prétend jamais ce qu’il est. À vrai dire, il est comme
le château du Graal : on passe devant lui sans s’apercevoir de sa présence.
Seuls quelques-uns le reconnaîtront. Et, ensuite, seuls quelques-uns, encore
plus rares, s’apercevront des mensonges de l’initiateur. C’est cela le jeu.
Dans le concert discordant des thuriféraires du Graal et des
Cathares, qui saura donc démêler le vrai du faux ? Les témoignages ne manquent
pas. Chacun prétend apporter la vérité. Il ne faut pas s’y laisser prendre. Le
secret des Cathares, le « Trésor » des Cathares, le « Graal »,
ce ne sont que des mots à travers lesquels on peut mettre tout ce qu’on veut. C’est
comme dans les auberges espagnoles de la tradition : on y trouve seulement
ce qu’on y a apporté. C’est parfaitement le cas pour la
Weitere Kostenlose Bücher