Montségur et l'enigme cathare
fresque ornant le
mur d’une chapelle (frise de croix grecques, semis de flammes d’or, etc.) » [42] .
D’ailleurs, on a découvert depuis, à proximité de la grotte, dans des
anfractuosités de la roche, d’autres peintures du même style, au caractère « folklorique »
encore plus marqué. Et il faut vraiment avoir de l’imagination pour voir dans
cette représentation la description faite par Chrétien de Troyes du fameux
Cortège du Graal : la lance ressemble davantage à un poignard du XV e siècle ; le tailloir est problématique, et
le soi-disant Graal plutôt un disque solaire schématisant la tête du Christ qu’un
vase sacré. Quant aux gouttes de sang, contrairement à la description de
Chrétien de Troyes, elles ne semblent pas couler de la lance. Il faudrait
pourtant remettre les choses à leur place. D’ailleurs, comme le dit René Nelli,
si cette peinture représentait vraiment le Graal, « cela ne prouverait pas
davantage qu’il est l’œuvre d’une main cathare, parce
qu’il n’y a pas un seul texte nous autorisant à penser que le catharisme a
jamais prêté une attention particulière aux mythes du Graal ».
Alors, peut-on se demander avec juste raison : pourquoi
les mythes du Graal sont-ils tant à l’honneur dans le pays cathare, notamment à
Ussat-les-Bains et à Montségur ?
La réponse est nette, précise : à cause d’une
information confuse et incomplète sur les différentes versions de la légende du
Graal, tout particulièrement la version allemande de Wolfram von Eschenbach.
Il est bon d’esquisser un peu d’histoire littéraire et de
préciser certaines dates. Le premier texte à évoquer la quête du Graal, sans nommer l’objet merveilleux , est un texte
occitan, le Roman de Jaufré , qui date de 1180 :
il s’agit d’une aventure arthurienne au cours de laquelle le héros passe par
toutes les étapes d’une quête initiatique. Mais le premier texte à nommer le
mystérieux Graal et à présenter le héros sous le nom de Perceval est celui de
Chrétien de Troyes, poète champenois d’origine juive, qui écrivait aux environs
de 1190. Ce Perceval ou le Conte du Graal , soi-disant
commandé par le comte de Flandre, Philippe d’Alsace, est un récit inachevé, sans
doute volontairement. De 1190 à 1210, quatre continuateurs différents y ont
apporté une conclusion en plusieurs fragments, et un auteur anonyme a cru bon d’écrire
une sorte de préface à l’ensemble, l’ Élucidation .
Parallèlement à cette série fondamentale de textes, vers la
même époque, donc vers 1200, apparaît un récit en langue galloise, Peredur , beaucoup plus archaïque dans son esprit :
les aventures du héros sont à peu près celles de Perceval – qui se nomme ici
Peredur – mais l’objet « Graal » n’y est pas mentionné. Un autre
texte, en français, et qui dénote une forte influence de l’abbaye de
Glastonbury, est écrit vers 1195 : il s’agit du long roman intitulé Perlesvaux – c’est le nom que porte le héros – et le
Graal y figure en bonne place. Tous ces textes peuvent être classés comme
franco-britanniques et constituent une version primitive de la légende.
Une autre série de textes, écrits entre 1200 et 1250, représentent
une version plus élaborée, d’un esprit très différent, et qui porte
incontestablement la marque d’une influence cistercienne. Il s’agit du Joseph de Robert de Boron, où apparaissent pour la
première fois la synthèse des éléments celtiques et bibliques et le
rattachement du thème du Graal à la Passion du Christ, puis de l’étrange récit
connu sous le nom de Didot-Perceval , adaptation
d’un poème perdu de Robert de Boron, enfin de l’ Estoire
du saint Graal (adaptation du Joseph ) et
de la Quête du saint Graal , ces deux derniers
récits faisant partie de ce qu’on appelle le « Lancelot en prose », vaste
corpus des légendes arthuriennes connu également sous la dénomination de « Vulgate
Lancelot-Graal ». Dans la Quête du saint Graal ,
le découvreur du Graal n’est plus Perceval, mais Galaad, fils de Lancelot du
Lac, un personnage d’allure « christique » entièrement fabriqué dans
l’optique de la sainteté telle que la concevaient les théologiens cisterciens.
Dans aucun de ces textes, versions franco-britanniques ou
versions cisterciennes, on ne peut trouver un seul détail qui puisse rattacher
le thème du Graal à la doctrine cathare, et localiser le
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