Montségur et l'enigme cathare
l’on se
réfère sans cesse à un prédécesseur, fût-il imaginaire, reconnaît s’inspirer d’un
modèle qu’il oppose d’ailleurs à Chrétien de Troyes : « Maître
Chrétien a conté cette histoire, mais en l’altérant ; et Kyôt, qui nous
transmit le conte véritable, s’en irrite à bon droit [43] . »
Tout au long de l’ouvrage, Wolfram cite ce Kyôt le
Provençal qui « écrivait le français ».
Ce détail peut paraître surprenant, un Provençal de l’époque
ne pouvant écrire qu’en un dialecte occitan, et non en français. Des critiques,
prenant argument sur le fait que Wolfram cite souvent Provins en Brie, et sur
le nom même de Kyôt, qui peut être la graphie allemande pour Guyot ou Guillot, ont
tenté d’identifier le mystérieux informateur de Wolfram avec un poète connu, Guiot
de Provins, auteur de nombreux poèmes et d’une Bible satirique qui ne manque ni
de verve, ni de férocité. Mais cela paraît surtout une coïncidence.
Il n’est pas exclu que cela soit une ruse de Wolfram. En
effet, le nom de Guillot ou de Guyot se rattache à la racine guille (anglo-saxon vile ,
anglais while ), vieux mot français disparu aujourd’hui
et signifiant à la fois « tromperie » et « niaiserie ». On
possède de nombreux exemples dans la littérature des XII e et XIII e siècles
de jeux de mots entre le terme guille et les
noms de Guillaume et de ses diminutifs, dont Guyot et Guillot. Le plus célèbre
se retrouve, au XV e siècle, dans La Farce de Maître Pathelin à propos du drapier Guillaume,
et l’expression : « Nous prendrait-il pour des Guillaume ? »
signifie tout simplement : « Nous prendrait-il pour des imbéciles ? »
On pourrait également citer le fameux proverbe : « Tel croit guiller
Guillot que Guillot guille » (Littré). C’est dire que Wolfram, à l’époque
où les Troubadours pratiquent allègrement le trobar
dus , c’est-à-dire le « camouflage », et les jeux de mots
divers, peut très bien nous « prendre pour des Guillaume » avec sa
référence à Kyôt le Provençal.
Il est cependant difficile de ne pas admettre l’existence d’une
source différente de Chrétien de Troyes pour l’élaboration de Parzival . Voici ce que dit Wolfram à ce propos :
« Kyôt, le maître illustre, trouve à Tolède, parmi des manuscrits
abandonnés, la matière de cette histoire, notée en écriture arabe. Il fallut d’abord
qu’il apprît à discerner les caractères A, B, C (les éléments de l’écriture
magique, selon Wolfram), mais il n’essaya point de s’initier à la magie noire. Ce
fut grand avantage pour lui d’avoir reçu le baptême ; car autrement cette
histoire fût demeurée inconnue. Il n’y a pas en effet de païen assez sage pour
nous révéler la nature du Graal et nous dire comment l’on connut ses vertus
secrètes » (trad. Tonnelat, II, p. 23).
En somme, pour Wolfram, le schéma primitif de la quête et surtout
les grands secrets du Graal ont une origine précise et ils proviennent d’Orient
par l’intermédiaire d’un manuscrit arabe. Et de nombreux détails, tout au long
du récit, semblent donner raison à cette affirmation d’une source orientale, car
ces détails ne sont ni celtiques, ni empruntés à Chrétien de Troyes.
C’est d’abord la blessure d’Anfortas, le Roi-Pêcheur (dont
le nom vient d’ailleurs du latin infirmitas , alors
que, dans les textes français, il se nomme Pellès, nom qui est celui de la divinité
celtique Pwyll Penn Annwfn). Wolfram nous dit que la blessure du roi était
insupportable quand il gelait. Il est le seul à apporter cette précision. Et
quand Parzival le guérit, il apparaît nettement sous les traits d’Indra, lequel,
lorsque les Aryas occupaient des pays nordiques avant d’effectuer leur
migration vers la vallée de l’Indus, passait pour être le dieu qui fait fondre le gel , donc une divinité
solaire régénératrice.
Le Roi-Pêcheur lui-même peut être considéré comme l’équivalent
d’un personnage mythologique indien. Le poisson d’or est ainsi la première
manifestation incarnée de Vishnu en tant que créateur, symbole qui se confond
avec l’image de l ’ichtus des premiers
Chrétiens, représentation de Jésus homme-dieu. Dans les spéculations du
bouddhisme tibétain, le poisson d’or symbolise les créatures immergées dans l’océan
de la samsara , autrement dit le cycle infernal
des réincarnations, et qui doivent être amenées
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