Montségur et l'enigme cathare
part non loin du
pôle, représente la volonté humaine de définir un centre à l’activité vitale, une
sorte de pivot autour duquel s’organise l’univers, que celui-ci soit matériel
ou spirituel. Le pôle est l’équivalent de l’ omphallos ,
c’est-à-dire du nombril du monde. C’est le point qui, autrefois, était symboliquement
en contact avec la cause première : le cordon ombilical a été coupé, et il
n’existe plus de lien effectif entre le monde et la substance-mère, mais il y a
blessure, cicatrice, et cette cicatrice peut toujours se rouvrir, permettant un
nouveau contact, une nouvelle fusion avec ce qui était avant . Toute doctrine initiatique a besoin d’être
nourrie d’une substance primordiale qui la justifie et lui permet de perdurer. La
spiritualité, quelle qu’elle soit, n’est pas une création ex nihilo , et elle se rattache tant bien que mal à
un illud tempus , comme dit Mircéa Éliade, sans
lequel elle n’a plus aucun sens. Et si cet illud
tempus n’est pas répertorié sur les calendriers, ni sur les Annales, il
n’en existe pas moins par l’enchaînement inéluctable de la pensée d’aujourd’hui
à la pensée d’hier. Toute doctrine, c’est-à-dire toute tentative d’explication
du monde, doit s’appuyer sur une base solide, mais cette base sera d’autant
plus solide, d’autant plus incontestable qu’elle sera davantage reliée à un
mythe des origines. Le pôle, comme l’ omphallos ,
est le lieu privilégié où réside le mythe des origines. Ainsi en était-il de
Delphes pour la pensée religieuse des Grecs. Ainsi en était-il de Tara pour la
pensée mythologique des anciens Irlandais. Ainsi en était-il du sanctuaire de
la forêt des Carnutes où, selon César, se rassemblaient les druides de toute la
Gaule.
Or, dans le cas du catharisme comme dans le cas de la
mythologie germano-scandinave, le lieu idéal, le lieu le plus adéquat pour
servir de pivot, est le pôle, nord absolu, perdu au milieu des glaces, recouvrant
un mystère caché sous l’épaisseur de la banquise et, par essence, domaine de la
blancheur et de la pureté primordiale. Le pôle nord est facilement vu comme un
lieu d’où est exclue toute pollution physique ou spirituelle. C’est l’endroit
où il n’y a pas de Mal, puisque le Mal est imperfection, pollution, dégénérescence.
Le Pôle, perdu au milieu des glaces, représente assez bien ce que l’esprit
humain conçoit de plus conforme à l’état angélique primitif, du moins dans la
problématique cathare. Mais le pôle est ambigu : la glace, le froid, c’est
aussi l’engourdissement des valeurs intellectuelles et spirituelles. Le froid, c’est
la mort. Le froid, c’est l’impossibilité d’agir, c’est une sorte de Nirvâna où
s’éteint tout désir de vivre. Alors, cela devient énergie potentielle : le
Pôle est vierge, mais comme tel, il est riche de futur.
Il semble bien que Montségur ait joué ce rôle de pôle. Les
rumeurs de la vie n’atteignent pas le sommet du pog .
Ce pog est entre ciel et terre, comme la « Chambre
de Soleil » des légendes. Mais c’est aussi la Forteresse prise dans les
glaces, forteresse dont on ne peut sortir quand on y est, et où l’on ne peut
entrer parce que les barrières de glace sont autrement infranchissables que les
murailles en pierre d’un château bien réel. Cela peut être l’image d’Asgard, cet
Olympe des Germains, lieu où réside Odin-Wotan quand il n’est pas en voyage, drapé
dans un grand manteau, portant un large chapeau qu’il rabat sur son front, émergeant
à l’improviste de l’ombre complice, avec son œil unique flamboyant qui est un
reste de lumière solaire le rattachant encore à son origine.
Dans la tradition irlandaise, on apprend que le druidisme
avait été apporté des « Îles du nord du Monde ». Ainsi le celtisme se
rattachait-il au mythe nordique de l’origine du monde, mais il convient de ne
pas prendre ceci à la lettre. Le nord idéal, le nord spirituel d’où émanent les
sciences, la magie, la religion, n’est qu’une simple indication : en fait,
le nord peut être partout, et nulle part en même temps, car il concerne
davantage un ressenti qu’un rationnel qui n’aurait aucune chance d’être pris au
sérieux. On sait, depuis toujours, que le Nord est la direction du mystère, de
ce qui est trouble, brumeux, inconsistant. Mais c’est destiné au commun des
mortels, car les audacieux qui osent franchir la
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