Montségur et l'enigme cathare
de l’âme. C’est une idée très ancienne, et qui n’a jamais été
abandonnée : dans les traditions indo-européennes, elle ne prend pas une
forme aussi directe, mais on la reconnaît dans le concept d’un corps d’élite, une
lignée sacrée, qui doit maintenir la pureté originelle au milieu des
vicissitudes du monde satanique, quitte à se retrancher du commun des mortels
et à lutter farouchement pour survivre. Ainsi, en suivant l’œuvre de Wolfram
dans ses moindres recoins, peut-on voir se dessiner d’étranges schémas
initiatiques dont l’élément primordial demeure le sang ,
un sang dont il faut préserver la pureté. C’est là que se situe la rencontre du
mythe du Graal avec le mythe cathare. Mais on s’aperçoit alors que le Graal n’a
rien d’un objet, et que le Trésor des Cathares est loin d’être matériel.
Wolfram von Eschenbach a également composé un poème intitulé Titurel . Ce poème comporte cent soixante-dix
strophes et prétend préciser les grandes lignes de la lignée du Graal. L’œuvre
est inachevée, obscure et davantage chargée d’ésotérisme que Parzival . Elle n’en est pas moins révélatrice du but
que poursuivait Wolfram.
Titurel est le nom du premier roi du Graal. Wolfram s’efforce
de démontrer qu’il existe une race du Graal. Il
raconte les amours de Sigune, la cousine de Parzival, avec un certain Shionatulander.
Ces deux personnages sont présentés comme des exemplaires parfaits de la race
du Graal, cette semence d’élite que Dieu lui-même a répandue dans la chevalerie.
Et il semble bien que cette race d’élite soit totalement exempte de
préoccupations mystiques ou simplement religieuses. Il n’est pas question d’un
quelconque salut dans un Autre Monde. Le sens du péché est totalement absent de
leur esprit. Dieu ne demande en réalité à ces Élus que d’assurer le triomphe de
la force et du courage dans la bataille, de la beauté et de la loyauté dans l’amour,
et cela dans une plénitude absolue. « Toute la troupe du Graal est faite d’Élus
toujours favorisés du sort en ce monde et dans l’autre, toujours comptés parmi
ceux dont la gloire est durable (strophe 44). Où que cette semence fût
portée depuis le pays du Graal, il lui était donné de fructifier et d’éviter
pour ceux qui la recueillaient le fléau du déshonneur » (strophe 45) [53] .
Ces lignes ont été écrites au XIII e siècle.
Elles sont inquiétantes dans la mesure où elles recoupent intégralement
certains discours de la première moitié du XX e siècle.
Mais elles font comprendre, mieux qu’un long commentaire, pourquoi les tenants
de certaines écoles de pensée – d’origine allemande – ont si bien exploité le
thème du Graal revu et corrigé par Wolfram von Eschenbach, et pourquoi ils ont
tant tenu à trouver un lieu réel pour le
château du Graal : à travers le brouillard de la tradition cathare, Montségur,
identifié à Montsalvage, apparaissait comme le lieu idéal non pas pour
découvrir un quelconque objet sacré, mais pour être le pivot d’une action d’envergure
vers l’extérieur. Montségur, pôle nord symbolique d’une nouvelle humanité régie
par les gardiens du Graal…
On est loin ainsi de la version primitive du Graal telle qu’elle
apparaît dans les textes celtiques, où le Graal est un chaudron inépuisable d’abondance
et d’inspiration ; loin aussi du Calice qui contient le sang de Jésus, le « Précieux
Sang » versé pour le salut du monde, de tout le
monde ; loin enfin de la vision cathare des Anges déchus qui
tentent de retrouver la Lumière perdue, mais qui savent que rien ne pourra être
fait tant qu’une seule âme restera à sauver.
Il y a trahison, triple trahison. D’abord, trahison de la paisible
métaphysique celtique. Ensuite, trahison du message d’amour de Jésus-Christ. Enfin,
trahison de la vision cathare d’un monde réconcilié avec lui-même.
La question se pose : Pourquoi cette trahison, pourquoi
cette récupération ? Montségur doit receler une puissance occulte puisqu’on
y cristallise tant de fantasmes divergents, tant de recherches contradictoires,
tant de délires à double sens. À la limite, il n’est pas plus aberrant pour l’esprit
de visualiser le Graal dans le donjon de
Montségur que de le retrouver en Brocéliande ou dans l’abbaye de Glastonbury. Le
problème est qu’on ignore toujours le véritable contenu du Graal.
VI
LE SANG ROYAL
Ce
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