Montségur et l'enigme cathare
ensuite dans tout son éclat, aussi beau que jamais. Il n’est point d’homme
si malade, qui, mis en présence de cette pierre, ne soit assuré d’échapper à la
mort pendant toute la semaine qui suit le jour où il l’a vue. Qui la voit cesse
de vieillir. À partir du jour où cette pierre leur est apparue, toutes les
femmes et tous les hommes reprennent l’apparence qu’ils avaient au temps où ils
étaient dans la plénitude de leurs forces. S’ils étaient en présence de la
pierre pendant deux cents ans, ils ne changeraient pas ; seuls leurs
cheveux deviendraient blancs. Cette pierre donne à l’homme une telle vigueur
que ses os et sa chair retrouvent aussitôt leur jeunesse. Elle porte aussi le
nom de Graal » (trad. Tonnelat, II, p. 36).
Tout cela fait évidemment penser aux nombreux Festins d’Immortalité
décrits dans diverses mythologies, et en particulier à cette « Hospitalité
de la Tête de Brân » dans la tradition galloise du Mabinogi , d’autant plus que dans le récit de Peredur , le Graal se présente sous l’aspect d’une
tête coupée sur un plateau [50] . Mais la Pierre de
Wolfram a une résonance nettement alchimique – elle est la Pierre philosophale,
but suprême des opérations du Grand Œuvre, c’est-à-dire d’une quête à la fois
spirituelle et matérielle qui, partant d’une matière première brute, conduit à
l’élaboration d’une Matière purifiée et pleine de force. Elle est connaissance
parfaite des grands secrets du monde, elle est aussi « médecine universelle »,
et, à ce titre, elle confère une quasi-immortalité.
Cependant, Wolfram écrit pour un public chrétien, ou tout au
moins sous les contraintes d’une société chrétienne. Quelque peu effrayé par l’aspect
hérétique ou païen de ce qu’il vient de décrire, il y met une coloration
chrétienne : « Chaque Vendredi saint, (une colombe) vient apporter à
la pierre la vertu de fournir les meilleurs des breuvages et les meilleurs des
mets… Le paradis n’a rien de plus délicieux… La pierre procure en outre à ses
gardiens du gibier de toutes sortes. » Si l’on comprend bien, les gardiens
du Graal ont une situation privilégiée et enviable :
qui donc ne voudrait faire partie de cette cohorte d’élite ?
Précisément, Wolfram en vient au choix et au recrutement des
gardiens du Graal : « Sur le bord de la pierre, on voit apparaître
une mystérieuse inscription qui dit le nom et la lignée de ceux qui – jeunes garçons
ou pucelles – sont désignés pour accomplir ce bienheureux voyage. Pour enlever
cette inscription, il n’est nul besoin de la gratter, car elle s’évanouit aux
yeux de celui qui la regarde, dès qu’ils ont lu le nom. On va chercher les élus
dans les pays les plus divers » (trad. Tonnelat, II, pp. 37-38).
C’est dire que la confrérie des gardiens du Graal constitue
une société réellement fermée : ces gardiens sont choisis mystérieusement
et magiquement . Ce sont des élus , mais ils ne sont pas candidats à cette fonction, et ce qu’on ignore, ce
sont les critères qui président à leur choix. Mais on comprend que ces paroles
prêtées à l’ermite Trévrizent ont largement contribué à faire du Graal le pivot
d’une société secrète réservée à des initiés appelés
mais non volontaires . Richard Wagner, en s’emparant des thèmes de
Wolfram, a encore accentué cet aspect des Templiers qui gardent le Graal, d’où
le caractère ambigu de son Parsifal et la
notoriété que l’œuvre a eue dans les milieux nazis. Car, à y réfléchir, la confrérie
des gardiens du Graal peut très bien servir de modèle ésotérique à d’autres
confréries. On ne peut que penser au groupe Thulé et à ses prolongements en Allemagne et ailleurs . Il serait bon aussi de se poser
certaines questions à propos de la célèbre « Ballade du roi de Thulé »
qui, ne l’oublions pas, est en possession d’une coupe
d’or . Le Graal est lié à l’idée du sang, puisque dans certaines versions,
la coupe contient le sang du Christ. Mais chez Wolfram, étant donné que le
Graal est une pierre, l’idée de sang se trouve ailleurs : dans la pureté
des gardiens du Graal qui constituent une lignée initiatique liée par une sorte
de fraternité du sang, mais d’un sang pur, à l’abri de tout mélange racial. La
S. S. hitlérienne n’est pas loin, et cela justifierait l’intérêt manifesté
par les nazis – Otto Rahn le premier
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