Morgennes
souvent qu’il n’y a rien de plus ardu à franchir que le seuil.
— J’ai d’abord pensé que c’était à cause de la faim. La prenant dans mes bras, je traversai un fantôme de ville, fuyant devant un incendie qui continuait de ravager le sud de Fostat. Par chance, je parvins à regagner votre monastère, qui se trouvait plus au nord…
Morgennes, donc, était entré dans le monastère de Saint-Georges avec Guyane, à la grande joie d’Azyme – qui le croyait mort. Le prêtre copte n’ayant plus eu de ses nouvelles depuis trop longtemps à son goût, avait fait dire moult prières au nom de son ami. Azyme l’aurait juré : jamais il ne pensait revoir Morgennes. Leurs retrouvailles furent touchantes, et les deux amis se hâtèrent de conduire Guyane dans la cellule où le vieux copte avait sa paillasse. Là, elle reçut les meilleurs soins. Pendant ce temps, Azyme apprit à Morgennes ce qui s’était passé au Caire, les changements qu’avait connus l’Égypte – et notamment le principal.
— Les Francs ont été chassés !
— La peste soit des Sarrasins, maugréa Morgennes.
— Heureusement, poursuivit Azyme, j’ai réussi à recueillir les deux Templiers qui faisaient office d’ambassadeurs auprès du calife.
— Tu as bien fait… Et qu’est-il advenu de Chawar ?
— Il est mort.
— Mort ? Lui ? En es-tu sûr ? Il serait bien capable de s’allier avec la mort elle-même, et puis de la rouler.
— S’il vit, ce n’est plus que sous la forme d’une tête coupée, offerte par Chirkouh au calife al-Adid. Lequel, en remerciement, a donné à Chirkouh la place de Chawar. Je dois dire que ce n’est pas une bonne nouvelle pour nous, les coptes. Car nos nouveaux maîtres sont nettement moins conciliants avec les non-musulmans que les précédents.
Azyme eut une moue de tristesse, puis poursuivit :
— Cependant, il faut bien reconnaître que cela n’aura pas eu que de mauvaises conséquences. Car peu après la mort de Chawar, et afin de s’assurer la bienveillance de la population du Caire, Chirkouh l’invita à aller piller le palais du vizir… Ce que la foule s’est empressée de faire.
— Tu dis que ce ne fut pas une mauvaise conséquence ? Moi, je ne vois pas l’avantage que vous en retirez.
— L’avantage ? Le voici.
Azyme sortit alors d’une de ses poches une petite pièce carrée. Elle portait sur son avers la pyramide de Khéops, frappée en son milieu de l’œil Houdjat (un vieux symbole égyptien) ; et son envers était illustré d’un dessin de dragon, quoique sans ailes, orné de cette phrase : « Presbyter Johannes. Per Dei gratiam Cosmocrator. »
— Pourquoi cette phrase est-elle en latin ? demanda Morgennes.
— Pour mieux frapper l’imagination des chrétiens. Mais cette pièce est bel et bien la preuve que cette histoire de « prêtre Jean » était un conte inventé de toutes pièces, pardonne-moi l’expression, par Chawar et son fils ; nous en avons retrouvé plusieurs coffres, dans les caves de son palais. Et ce n’est pas tout…
Morgennes tendit l’oreille, impatient de savoir ce que le vieux chef des coptes avait à lui apprendre :
— Les Templiers ont reçu l’ordre de fomenter une révolte en s’appuyant sur nous et sur la garde d’esclaves noirs.
— L’ordre ? De qui ?
— D’Amaury, évidemment. Le roi de Jérusalem veut frapper une dernière fois. Donner un grand coup avant qu’il ne soit trop tard. Il veut amputer le membre gangrené qui est en train de contaminer l’Égypte tout entière… Et pour cela, il a choisi trois hommes.
— Les Templiers ? Je croyais qu’ils n’étaient que deux ?
— Le troisième, c’est toi. Et c’est toi qui commandes, a dit Amaury. Les Templiers t’obéiront.
— Très bien, dit Morgennes. Amaury a-t-il dit par quoi il voulait qu’on commence ?
— Tuer Chirkouh.
53.
« Eh ! Dieu ! Est-il possible de racheter ce meurtre, ce péché ? Non, vraiment, pas avant que tous les fleuves ne soient taris et la mer asséchée ! »
( CHRÉTIEN DE TROYES ,
Lancelot ou le Chevalier à la Charrette. )
Les préparatifs du coup d’État durèrent six semaines, durant lesquelles Morgennes ne cessa de s’interroger au sujet de Guyane : « Si je lui prends son futur mari, puis-je lui prendre aussi son père ? »
Il trouvait d’autant moins la réponse adéquate qu’une autre question le tourmentait : « Et mon roi ? Je lui désobéis
Weitere Kostenlose Bücher