Morgennes
offert, lui avait assuré qu’il s’agissait du bâton de Moïse. Sornettes ? Qui pouvait le dire ?
Guillaume esquissa un sourire, puis suivit l’empereur et ses hommes dans l’immense jardin du palais des Blachernes, sur lequel donnaient les fenêtres de la salle du trône.
C’était plus un jardin zoologique qu’un jardin d’agrément, et par endroits des cages contenaient des animaux – qui n’avaient rien de fantastique. Ainsi, des tigres et des lions faisaient les cent pas dans leurs prisons à barreaux d’or, et poussaient de temps à autre, lesquels des feulements, lesquels de formidables rugissements. Comme pour leur être agréables et leur rappeler leur gloire d’antan, des volées de colombes s’enfuyaient vers le ciel, puis revenaient picorer aux côtés des autruches et des paons les graines que des gardes leur avaient jetées – avant de s’envoler encore, aux feulements d’après.
— Croyez-vous, demanda l’empereur à Guillaume, qu’une fable puisse être avérée ?
— S’il y a suffisamment de monde pour y croire, cela se peut.
— Alors, croyez-vous que Dieu soit une fable ?
— Par saint Martin ! Bien sûr que non.
Guillaume marqua une pause. Était-ce un piège ? Soudain, il trembla de tout son corps, à l’idée que cette petite visite au jardin zoologique ne se terminât dans la cage d’un des fauves qui jetaient vers eux des regards affamés. Et lorsqu’un tigre poussa son rauque feulement, Guillaume regretta de ne pas pouvoir s’envoler comme les colombes du palais.
— Vous avez froid ? demanda à Guillaume le secrétaire impérial.
— Non, non, ça va, dit Guillaume qui ne cessait de trouver extraordinaire le lien qui unissait le secrétaire à l’empereur.
Les gardes et l’entourage de Manuel jetèrent sur Guillaume un regard inquiet, peut-être inquisiteur.
— Tout va bien, dit Guillaume. Je vous assure…
— Et le prestige d’un roi, d’un pape ou d’un empereur, poursuivit Manuel comme si de rien n’était, pensez-vous qu’il relève de la fable ? De la légende ?
— Je ne sais, avoua Guillaume. Je pense qu’il faut tout faire pour vivre dans la vérité. Mais il est vrai aussi qu’une pincée de poudre de perlimpinpin rehausse le prestige de ceux sur qui elle se dépose…
Le cortège venait d’arriver au milieu du jardin, où se trouvait une fontaine. Là, un homme, une femme, trois vieillards et deux enfants, tous pauvrement vêtus, attendaient que Manuel leur lave les pieds – comme la coutume l’exigeait, chaque fois que l’empereur s’en allait festoyer. Et tandis que l’empereur s’agenouillait pour leur passer entre les doigts, sur les mollets, un linge imbibé d’eau de la fontaine, Guillaume se demanda : « Ces pauvres sont-ils ou non de vrais pauvres, ou bien des domestiques déguisés ? Et en ce cas, qui abuse qui ? »
Pendant qu’il se posait cette question, le secrétaire de l’empereur se tourna vers lui pour lui faire savoir :
— Au début, Sa Majesté vous a soupçonné.
— Ah ?
— Qui, en effet, avait le plus intérêt à déstabiliser l’Empire et à pousser Sa Majesté à entrer en guerre ?
— Je ne sais pas. Les Moldaves ? Les Arméniens ?
— Balivernes ! fit l’empereur en relevant la tête. Les Moldaves et les Arméniens sont si faibles qu’à mes yeux ils n’existent pas. Mettons plutôt, les Sarrasins. Mais alors, ils n’auraient pas cherché à nous humilier en tant que chrétiens orthodoxes. Ils n’entendent rien à ce genre de subtilité. Non, ceux que nous agaçons – je dis bien « agaçons », et non pas « menaçons » – sont au nombre de deux. Et de deux seulement.
— Puis-je demander à Sa Majesté à qui elle pense ?
L’empereur, maintenant en train de sécher les pieds de ses pauvres officiels avec un linge de coton, apporté sur un plateau d’argent par un jeune serviteur, répondit :
— Mais on vient de vous le dire : à vous !
— Moi ? fit Guillaume le plus innocemment possible.
— Sa Majesté, poursuivit le secrétaire, parlait d’un « vous » au sens large. « Vous, les croisés. » Ceux de Jérusalem et de Rome, si vous préférez. De même, pour employer un euphémisme, Sa Majesté sait que la papauté ne la porte pas dans son cœur.
— Ce qui ne date pas d’hier, commenta Manuel.
— Alors, poursuivit le secrétaire, pris dans l’étau de vos deux puissances moyennes, Sa Majesté n’a pas eu
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