Morgennes
Manuel Comnène en levant une main, lourde de bagues.
Sur ce, il inséra le plus gros des diamants à ses doigts dans un orifice situé à mi-hauteur d’une paroi. La pierre précieuse, faisant office de clé, tourna dans l’orifice, et un pan de mur s’effaça.
— Ce dispositif, dit l’empereur, m’a coûté la bagatelle de dix carats.
Ne sachant comment réagir, Guillaume préféra garder le silence, mais ce qu’il vit de l’autre côté lui arracha ce cri d’extase :
— Par le Dieu qui créa l’air et la mer !
Sous ses yeux s’étendait la bibliothèque la plus extraordinaire qu’il eût jamais vue. Des dizaines, des centaines de parchemins étaient rangés dans des cases, tandis qu’une douzaine de livres reliés de cuir, d’or et d’argent, étaient posés ouverts sur des lutrins, auprès d’écritoires où des stylets attendaient d’être utilisés.
En lui montrant ces trésors, l’empereur dit à Guillaume :
— Vous trouverez ici le célèbre Picatrix, encore appelé Le But du sage dans la magie, du grand mathématicien et astronome arabe al-Madjriti. On y trouve tout ce qu’il faut sur l’art de fabriquer des talismans, de mettre au point des rituels permettant de commander aux étoiles et aux âmes, et bien d’autres mystères. Vous trouverez également le Petit Traité de l’Antéchrist, de l’abbé Adson. Ainsi que Le Secret des secrets (traduit en latin par Philippe de Tripoli, et qui récapitule l’ensemble des leçons données par Aristote à Alexandre le Grand), le Liber Pontificalis, de l’évêque romain Marcelin (où il est question de sacrifices aux idoles). Ici, relié par une peau de dragon de quarante pieds de long, un exemplaire de L’Iliade et de L’Odyssée.
— Fantastique ! dit Guillaume.
— Et voici l’ Astronomica, de Manilius – dont on dit qu’il aurait inspiré au terrifiant poète damascène, Abdul al-Hazred, son Livre du nom des morts, le Al-Azif.
— Sa Majesté a-t-elle ce dernier ouvrage ?
— Non, malheureusement, je ne le possède pas. À mon avis, il est à tout jamais perdu. Mais j’ai la biographie qu’Ibn Khallikan vient de rédiger sur son auteur…
— C’est la plus belle collection d’ouvrages ésotériques que j’aie jamais vue ! Combien d’années a-t-il fallu à Sa Majesté pour la réunir ?
— Plusieurs siècles. Non, ne frémissez pas. Car ce n’est pas moi qui ai commencé cette collection. Ce sont mes ancêtres et prédécesseurs… Mais revenons à ce dont nous parlions avant d’entrer ici. L’Égypte, les dragons, et ce fameux prêtre Jean. Nous, Manuel Comnène, basileus du Saint Empire byzantin, faisons le serment de vous aider à conquérir l’Égypte. Nous vous assurons aussi que vous n’arriverez à rien si vous ne trouvez pas une certaine arme…
— Une arme ? Laquelle ?
— Je parle d’une épée. Mais venez plutôt. La visite n’est pas terminée. Je vous ai montré ma bibliothèque, où vous aurez tout le loisir de revenir vous promener plus tard. Maintenant, allons voir mon petit musée…
Et Manuel marcha vers l’extrémité de cette pièce, si longue qu’elle aurait pu contenir le Saint-Sépulcre tout entier. Guillaume savait qu’aucune collection de reliques ne valait celle de Constantinople, et il se demandait quelles autres merveilles l’empereur allait lui montrer. S’agissait-il de l’épée qu’il venait de mentionner ? Se pouvait-il que… Guillaume sentit son cœur battre à toute allure, au point de rater un temps. Aussi se morigéna-t-il : « Allons, allons, mon vieux Guillaume. Ne t’emballe pas ! Car cela fait plus de sept siècles que saint Georges est mort, et personne n’a jamais retrouvé son épée… »
28.
« Et que voudrais-tu trouver ? – L’aventure, pour mettre à l’épreuve ma vaillance et mon courage. »
( CHRÉTIEN DE TROYES ,
Yvain ou le Chevalier au Lion. )
C’était une aile, non pas d’ange, mais d’oiseau.
Nous avions atterri sur le dos d’un oiseau !
En y regardant de plus près, ce n’était d’ailleurs pas un oiseau, mais des milliers d’oiseaux noirs et blancs volant si près les uns des autres qu’ils formaient un incroyable damier s’élevant vers le firmament.
Morgennes courait au-dessus d’eux.
— Je dois avoir de la fièvre, dis-je.
— Tiens-toi ! me dit Morgennes.
— Dis-moi que je rêve ! Ce n’est pas possible !
— Accroche-toi !
Nous courions sur un océan d’ailes.
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