Morgennes
Morgennes. En quête d’aventures…
— Non, pas un homme…
— Mais alors quoi ? fit Morgennes.
— Marche ! dit la vieille. Marche, sssept et sssoixante-dix-sssept jours, en directttttion du bercccceau du ssssoleil… Alors tu sauras !
Aussitôt dit, aussitôt fait, nous nous mîmes en route après nous être équipés d’un matériel d’escalade. Cordes, pitons, marteaux, peaux d’ours, casques, pelles, pics à glace et même… crampons. Notre équipement métallique avait été enveloppé dans des chiffons huilés, afin de le protéger du froid, et nous partîmes dans la direction indiquée par les trois sorcières – qui, chose étrange, correspondait en tout point à celle de la treizième et dernière mission de Morgennes. C’est-à-dire vers l’Orient et les Indes.
En route pour l’Empire du prêtre Jean.
Pourtant, je ne cessais de penser que si l’on avait voulu se débarrasser de nous et nous jouer un mauvais tour, on ne s’y serait pas pris autrement. Mais qui aurait fait cela ? Qui y aurait eu intérêt ?
Personne.
Et Manuel Comnène attendait vraiment qu’on lui rapportât, sur un plateau d’argent, ou bien la tête du prêtre Jean (s’il existait), ou bien la tête de celui qui avait rédigé ces lettres.
Alors, la corde enroulée en travers du corps, un pic à la main, les pitons, les crochets bringuebalants et cliquetants accrochés à notre ceinture, Morgennes et moi marchâmes, grimpant sans cesse, mais de plus en plus lentement au fur et mesure que le terrain montait et que les montagnes se dressaient devant nous, toujours plus proches. Majestueusement drapées de nuages et de neiges, souveraines imperturbables auprès desquelles nous n’étions que deux ombres minuscules.
Au terme du soixante-douzième jour de marche, nous atteignîmes enfin les contreforts du mont Agridagi, où nous nous accordâmes une courte halte, au monastère de Saint-Jacob. Là, nous nous régalâmes de sangliers rôtis et de truites saumonées pêchées dans l’Aras, tout en buvant du vin de la plus vieille vigne du monde.
— Celle que Noé planta, non loin de son Arche, nous expliqua l’un des moines. Pour remercier Dieu d’avoir mis fin au déluge.
— Celle dont il but le vin jusqu’à l’ivresse, ajouta Morgennes.
Comme le moine lui jetait un mauvais regard, je lui donnai un coup de coude et dis :
— Noé ! Le sauveur de l’humanité ! Tu lui dois le respect !
Morgennes me parlait souvent des dessins qu’il avait vus dans le palais de Coloman, et me disait que les paysages que nous traversions ressemblaient à ceux qui y étaient représentés. Il était persuadé que des Byzantins nous avaient précédés ici et se demandait si la Compagnie du Dragon blanc n’y était pas passée, elle aussi. Quand je lui en demandai la raison, il m’expliqua :
— Gargano, le fait que les chantiers navals de Constantinople aient été interdits au public, que nous n’ayons pas trouvé trace de la Compagnie du Dragon blanc à Constantinople, et les schémas que j’ai vus dans le phare… Tout cela m’incite à penser que quelque chose d’important se trame, autour de Constantinople, de la Compagnie du Dragon blanc, et peut-être aussi des dragons…
Les dragons !
Nous cheminions en direction des bruits d’ailes et je continuais de me dresser sur ses épaules pour voir ce qui venait. Mais je ne distinguais rien d’autre qu’une formidable mer de brume, qui remontait vers un pic d’une hauteur vertigineuse. Parfois, je pensais à notre accoutrement, et je me demandais si c’était ainsi habillé qu’il convenait de se présenter à saint Pierre.
Mais de saint Pierre il ne fut pas question, car ce que nous découvrîmes alors nous coupa le souffle – à moi le premier.
— Morgennes ! fis-je. C’est incroyable.
— Que vois-tu ?
— Il y a un creux au sommet de la montagne, un creux en forme de coque de bateau ! Comme si quelqu’un avait descendu l’Arche de Noé de son perchoir, en haut de l’Ararat !
— Balivernes ! Que dis-tu là ?
— Mais avance, avance !
Pressant le pas, Morgennes nous amena au bord de la mer de brouillard d’où surgissaient les bruits d’anges ou d’oiseaux. Figurez-vous une surface immense, laiteuse, crayeuse, agitée de remous, et un vacarme d’ailes qui vient en grandissant par en dessous. Quand le bruit devint aussi assourdissant que mille vagues s’écrasant contre un rocher, Morgennes me
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