Morgennes
Paradis ?
— Oui, répondit l’homme à la première question. Non, à la deuxième. Je n’ai pas le droit de vous le dire, répondit-il enfin à la troisième.
Morgennes, légèrement troublé, passa la main sur son épaule afin d’en chasser les quelques flocons de neige qui s’y étaient accumulés. Puis il récupéra la petite cage de Galline, et la remit en place, sur son dos.
— Viens, me dit-il. On a plusieurs quêtes à finir, et j’aimerais bien arriver à l’endroit où les sorcières m’ont dit d’aller…
Il s’avança en direction du Chinois. Son haleine s’élevait devant lui, et il ne pouvait s’empêcher de penser : « Ce sont des âmes, des âmes en sursis. C’est comme les nuages, là-haut. Ce sont des âmes. Elles ne peuvent pas aller plus haut, parce que nous sommes aux portes du Paradis… Ni plus bas, parce que leur place est ici… »
Quant à moi, je n’avais jamais eu aussi froid de toute ma vie. Aussi froid, ou aussi peur ? Je ne savais plus. Peut-être les deux. À vrai dire, cela n’avait plus aucune importance. « Dans peu de temps, ce sera fini. J’aurai vécu en vain… Non. J’aurai aimé, connu Morgennes et Philomène, écrit, composé, prié… »
— Approchez, approchez, fit le Chinois.
Des étendards, représentant des dragons d’or sur fond rouge, claquaient au vent – qui soufflait, soufflait, si fort que nos vêtements flottaient autour de nous, et que Galline était obligée de battre des ailes pour ne pas se retrouver plaquée contre les barreaux de sa cage.
— Honorables visiteurs, salut à vous ! Vous êtes venus pour passer l’épreuve, n’est-ce pas ?
— Quelle épreuve ? m’exclamai-je.
— Alors, c’est ici ? J’ai terminé mon voyage ? demanda Morgennes.
— Peut-être, dit le Chinois.
— En quoi consiste cette épreuve ?
— C’est celle de la tête ! fit le Chinois en se tapotant le crâne avec le doigt. Très très dure. Il va falloir vous servir de votre tête, beaucoup, si vous voulez passer.
— Passer ? dis-je. Mais pour aller où ?
— De l’autre côté, fit le Chinois.
Je regardai ce qu’il y avait de l’autre côté du pont, et vis une énorme ouverture taillée dans la pierre, qui s’enfonçait dans la montagne. L’entrée était flanquée de bas-reliefs en forme de dragon – mais de dragons sans ailes, comme ceux des étendards, longs et sinueux, avec une longue langue de serpent.
— Êtes-vous prêts ? demanda le Chinois. Je vous signale que si vous échouez, vous ne pourrez plus jamais essayer…
— Nous sommes prêts, dit Morgennes.
— Très bien ! dit le Chinois. Je vais vous poser une question. Si vous ne connaissez pas la réponse, vous ne passerez pas. Si vous la connaissez, vous aurez le droit de m’en poser une à votre tour. Si je ne connais pas la réponse, vous pourrez passez. Autrement…
— C’est compris, fit Morgennes. Commençons.
— Première question : « Qui vient en premier, de l’œuf ou de la poule ? »
— Diable ! C’est une question pour Galline, dit Morgennes en regardant notre poule.
Et il se gratta la tête.
Je m’interrogeais… Quelque chose m’incitait à m’inspirer de ma propre expérience. Notamment celle d’Arras… Ce qui venait après le premier prix, c’était la poule. Ensuite venaient les œufs. D’ailleurs, Galline n’en pondait plus depuis que nous avions dû fuir…
— C’est la poule, répondis-je.
— Bonne réponse, honorable compétiteur ! fit le Chinois. Vous marquez un point, et avez le droit de me proposer une énigme.
— Très bien, dis-je. J’en ai une qui n’est pas très difficile : « Je parcours les livres sans augmenter mon savoir – dis comment je m’appelle. »
— Le ver ! s’exclama le Chinois.
— Par Notre-Dame ! fit Morgennes en tapant du poing dans l’une de ses mains.
— Si vous voulez gagner, il va falloir faire mieux, continua le Chinois. À mon tour : « Je vis un être merveilleux, un vaisseau aérien porter sur ses cornes le butin de la guerre. Il voulait édifier une chambre dans la forteresse. Alors survint un être prodigieux sur les cimes de la montagne (tous les habitants de la terre savent qui c’est). Il prit le butin et le jeta à la voyageuse qui s’en fut vers l’ouest. La poussière s’éleva dans le ciel. La rosée tomba sur la terre. La nuit s’en alla. Personne ne connaît le chemin de cet être – que tu dois me
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