Mort d'une duchesse
et jaune à deux pas derrière lui.
— Où est-elle ? Je demanderai justice au
duc ! Vous serez contraint de me la rendre !
Ugo Bandini opta pour la réponse la plus insupportable :
le silence. C’était un homme au seuil de la vieillesse, avec un visage lugubre
plissé comme celui d’un mastiff, dont l’expression combinait épuisement et morgue.
Benno, dont l’esprit avait été formé par des années de parti pris, comprenait
fort bien que l’on puisse avoir envie de le tuer pour sa seule apparence, et
encore plus pour vous avoir enlevé votre fille. Intendant et secrétaire avaient
beaucoup de mal à empêcher Jacopo de se jeter sur Ugo pour l’écrabouiller sur
le marbre noir et blanc. Benno songea qu’il ferait un parfait ornement central
d’une des guirlandes de laurier, le cou entouré d’un ruban écarlate.
D’autres personnes arrivaient ; un homme pressait les
serviteurs d’en finir avec les guirlandes et indiquait à l’aide d’un bâton
blanc doré à son extrémité les endroits où elles n’étaient pas correctement
fixées. Un page gravit en courant les marches de l’estrade pour donner un coup
de brosse au siège de velours écarlate, aux accoudoirs et au dossier de la
chaire d’État, et arranger ses franges de cannetille dorée. Il redescendit l’escalier
d’un pas léger, ses cheveux bouclés tressautant à chaque marche.
Hommes et femmes se rassemblaient déjà en groupes bavards au
pied de l’estrade, et ça n’était que riches tissus brodés de pierreries
accompagnant le mouvement des manches et des jupes, fourrure et brocart, gaze
tissée d’or enveloppant la tête des femmes, magnifiques broches et pendentifs
ouvragés. Les yeux loyaux de Benno ne remarquèrent aucune femme plus belle que
dame Cosima, même si plusieurs étaient aussi jeunes – et ne se montraient
en public que parce qu’elles étaient mariées. Jacopo s’était éloigné de la foule,
ses épaules rentrées témoignant avec éloquence des sentiments qu’il avait peine
à contrôler. La plupart des regards se tournaient sans cesse vers l’un ou l’autre
des deux hommes, isolés de chaque côté de la salle.
Les rideaux de brocart doré masquant la porte par laquelle
avait été admis Sigismondo s’écartèrent. Les deux pages en vert et blanc
embouchèrent les trompettes ornées de fanions et soufflèrent dedans, ce qui imposa
silence à la foule et, telle une marionnette, la fit pivoter en direction de l’homme
qui faisait son entrée.
Ce dernier resta un instant immobile, magnifique dans sa
robe ouverte en tissu vert bordé d’hermine et son manteau à haut col, observant
les têtes inclinées, les chapeaux ôtés et les révérences, puis se dirigea à grands
pas vers le fauteuil d’apparat. Une fois qu’il fut assis, des pages arrangèrent
la longue traînée de fourrure qui descendait sur trois marches. D’un bref geste
de la main il fit cesser les révérences ; d’un autre geste il indiqua à la
sombre silhouette de Sigismondo de se placer au bas de l’estrade. Benno
entendit la foule chuchoter. Sigismondo, debout, un pied posé sur la première
marche, les yeux baissés et le crâne rasé, le visage grave, les mains le long
du corps, produisait une extraordinaire impression de force.
Alors que le duc s’apprêtait à prendre la parole, un homme
se détacha d’un petit groupe et vint lui parler à l’oreille. Benno reconnut en
lui le demi-frère bâtard du duc, le seigneur Paolo, aimé à la cour comme
pacificateur, et dans la ville comme dispensateur de charité.
Le frère du duc recula de quelques pas, puis le duc leva la
main et parla.
— Nous entendrons messires Di Torre et Bandini en privé.
Benno partagea la vive déception que manifestèrent les
courtisans en se retirant. Au contraire de ceux-ci, toutefois, il n’avait
aucune intention de partir ; il avait suffisamment confiance en sa longue
expérience pour savoir que, s’étant rendu invisible, personne ne le verrait. D’ailleurs,
deux dames qui murmuraient d’un air mécontent en passant devant lui effleurèrent
son visage de leur voile en gaze sans même le distinguer dans l’ombre du pilier.
Tous finirent par s’en aller, hormis le frère du duc, un
homme au visage de clerc dont Benno supposa qu’il était le secrétaire du duc, les
deux bourgeois rivaux et Sigismondo. Pages et gardes se retirèrent en fermant
la porte derrière eux. Benno, qui retenait son souffle, eut le vif et
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