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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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l’Empereur l’avait convoqué personnellement aux Tuileries, afin qu’il lui fasse un rapport sur le siège de Saragosse. En dépit de mes réticences, il avait fini par me convaincre de l’accompagner. Je n’avais pas d’uniforme convenable ? Son ordonnance en ferait son affaire. Il faudrait que je soigne ma chevelure et que je me rase avec soin.
    – Je risque, me dit-il, de me tromper dans les détails du commandement et surtout dans les dates. Tu suppléeras à mes défauts de mémoire ou à mes erreurs.

    L’Empereur était assis dans la lumière du soleil tombant d’une fenêtre, un enfant sur ses genoux. Ce n’était pas le sien mais celui de son frère Louis, roi de Hollande, et d’Hortense de Beauharnais, fille de Joséphine, dont il comptait, confronté à la stérilité de Joséphine, faire son héritier.
    Napoléon était en train de boire une tasse de café sans sucre comme à son habitude ; il en fit avaler une gorgée au garçonnet, qui la recracha.
    – Mon garçon, dit-il, ton éducation reste à faire. On ne t’a pas appris à dissimuler.
    Il confia son neveu à une nurse hollandaise et prit le temps de terminer son café avant de prêter attention à notre présence. L’exposé de Lejeune dura environ un quart d’heure, interrompu par des questions pertinentes. Lejeune se fourvoya à diverses reprises dans les noms des chefs de corps et les emplacements de nos positions mais je me gardai de rectifier ses dires pour ne pas le vexer.
    L’Empereur l’écouta avec un semblant d’intérêt et parfois un grognement dans la gorge, en suivant du regard le vol des pigeons au-dessus du grand bassin. Il mit fin à ce rapporten se levant et en consultant la pendule. Des officiers de retour des îles l’attendaient dans l’antichambre pour lui parler de la Martinique où les Anglais avaient débarqué.
    Il paraissait assez gai et en bonne santé : visage rond, œil perçant (« d’aigle », disent les poètes), mais je remarquai une certaine lourdeur dans sa démarche quand il nous raccompagna.
    – Je regrette, dit-il, la mort du général Lacoste. C’était l’un de mes meilleurs officiers du génie et un homme d’une courtoisie parfaite. J’ai décidé de confirmer à sa veuve le maintien de sa rente. Lejeune, allez donc de ma part lui annoncer cette heureuse nouvelle.

    Je ne pouvais laisser passer mon congé sans rendre visite à mon oncle paternel, Jérôme de Barsac. Je n’en avais plus de nouvelles depuis des lustres, au point qu’apprendre sa mort ne m’eût pas surpris.
    Je le trouvai à l’étage qu’il occupait dans un immeuble, rue du Moulin-de-la-Pointe, dans les quartiers sud de la capitale. Il était vivant, quoique fort âgé. Veuf depuis une dizaine d’années, il partageait son existence avec un domestique presque aussi vieux que lui et qui faisait office de factotum. Son intérieur vétuste et sinistre, tapissé de gravures datant du Roi-Soleil, proclamait son attachement à l’Ancien Régime et son aversion pour l’Empire. Pour ne pas avoir à prononcer le nom de Napoléon, il disait « l’usurpateur ».
    Après avoir frôlé ma joue de ses lèvres minces et grises, il bougonna :
    – Je te sais gré de ta visite, mon neveu, mais tu aurais dû venir habillé en civil. Tu sais que j’ai en horreur les uniformes des officiers de l’usurpateur. Si tu reviens, tâche de te présenter dans une tenue correcte.
    N’espérant pas tirer grand-chose de cette entrevue, je n’en tirai rien, d’autant qu’elle fut brève. J’attendais qu’il mereprochât de n’avoir pas émigré pour servir la « sainte cause » de la monarchie ; il évita ce sujet pour me parler des maigres biens qui lui restaient et de sa santé précaire ; gros mangeur, guetté par l’apoplexie, il me laissait espérer un testament en ma faveur. Indifférent qu’il était à mes états de service, il fit de cet entretien un monologue et me dit pour y mettre fin :
    – Je ne puis te garder à dîner, Antoine. En revanche, la prochaine fois, je t’inviterai au Saint-Louis où j’ai ma serviette.
    – Je crains, lui répondis-je, de ne pouvoir accepter. Je m’apprête à partir pour l’Allemagne.
    – Eh bien, me lança-t-il en se levant, va au diable et reviens quand tu pourras si les Autrichiens ne t’ont pas réduit en charpie !

    Le bruit de bottes qui annonçait l’imminence du conflit n’avait rien pour me réjouir. Lejeune, lui, en était ravi.
    – Il ne

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