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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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par nos troupes, il avait assiégé la ville.
    Commandée par un officier timoré, impressionné sans doute par la puissance de l’armée ennemie, la garnison française avait capitulé. On imagine la colère de Napoléon… Il courut à bride abattue sur les lieux. Alors qu’il faisait le tour de l’enceinte, une balle le toucha au talon. Une heure plus tard, sa blessure pansée, il remontait sur son cheval blanc, sous les acclamations de la troupe. C’est la blessure qu’Achille avait reçue sous les murs de Troie, mais ce héros grec en était mort.
    Il lui fallait Eckmühl, quitte à la prendre aux échelles, comme dans les temps anciens. Lorsque tonnèrent nos batteries, je me souvins de Saragosse et me dis que nous en avions pour des semaines.
    Gagné par l’ardeur de nos soldats, je me jetai sabre au clair sur les retranchements ennemis. La nuit qui suivit fut dantesque. Les projectiles sifflaient autour de nous comme dans une volière de perruches. Je ne sais par quel miracle j’échappai à cet enfer. La nuit était tout illuminée par des maisons qui brûlaient à proximité des remparts.
    Le lendemain, l’un de nos régiments de carabiniers eut l’occasion de se distinguer dans une charge contre les avant-postes autrichiens installés sur une vaste promenadeextérieure. J’obtins, non sans peine, la permission de me joindre à ces deux mille cavaliers à l’habit aux revers rouges et aux énormes bonnets à poils. J’ai gardé dans l’oreille le bruit de la terre sonnant sous les fers des chevaux.
    Nous dûmes nous y reprendre par trois fois et essuyer de lourdes pertes avant de nous rendre maîtres de cette position. Notre artillerie avait pratiqué des brèches dans l’enceinte, mais trop étroites pour un assaut. Il fallut en revenir aux échelles. Ce fut alors une ruée irrépressible, dans laquelle, pris d’une sorte de frénésie, je me jetai. En quelques heures, nous avions pénétré dans la ville.
    Le lendemain, au quartier général installé dans un couvent de chartreux, je retrouvai Lejeune de fort mauvaise humeur contre moi.
    – Aurais-tu oublié, me dit-il, que tu es mon aide de camp et non un simple soldat ? Tu as outrepassé mes ordres. En opération, c’est une faute grave. Tu ne vas pas échapper au châtiment.
    – J’y suis prêt, lui dis-je d’un air penaud.
    – En vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je te condamne à te rendre à la cantine et à en rapporter deux bouteilles, et pas de la bibine, s’il te plaît ! Exécution, et que je ne te reprenne pas à interpréter mes décisions à ta manière.
    Je n’avais plus figure humaine. Des éraflures sur mon visage noir de poudre, des taches de sang et de charbon sur mon plastron, une de mes queues arrachée par un projectile…
    Lejeune me dit en choquant son verre contre le mien :
    – Je te pardonne volontiers ce coup de tête d’autant que Lannes a commis la même imprudence. Il a été des premiers à monter aux échelles pour entraîner ses hommes qui hésitaient, en criant : « Je vais vous montrer que j’ai encore l’étoffe d’un grenadier ! » Et ses hommes l’ont suivi comme les moutons de Panurge !

    J’allais assister dans la matinée, au cours d’une revue des effectifs, à une scène digne de figurer dans le mémorial de l’Empire.
    Napoléon, procédant à pied à l’inspection, tomba en arrêt devant un jeune sergent voltigeur pour lui demander combien il avait reçu de blessures au cours de ses campagnes. « Une bonne trentaine, Majesté », lui fut-il répondu. Outré qu’après de tels sacrifices cet officier n’eût pas reçu une médaille, l’Empereur fouilla dans la poche de sa giberne, en trouva une et l’épingla sur la poitrine du héros qui bougonna :
    – Grand merci, Majesté, mais j’en aurais bien mérité une douzaine !
    L’Empereur lui tira la moustache et lui dit en riant :
    – Eh bien, jeune homme, je te fais lieutenant !

    Quelques heures plus tard, j’appris la nouvelle que nous attendions tous sans trop y croire : durant la nuit, l’archiduc, avec ce qui restait de son armée, avait quitté Ratisbonne pour prendre la route de Vienne. En regagnant mes quartiers, je me disais, non sans un sentiment de fierté, que je venais de vivre, avec la prise de cette ville, un des grands moments de l’épopée impériale.
    Il y avait un peu plus d’une semaine, l’Empereur était encore aux Tuileries auprès de Joséphine et, après une

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