Mourir pour Saragosse
Pardonne ces vérités à un mourant qui te chérit… »
Je ne pouvais oublier que nous devions à ce meneur d’hommes, malgré ses sautes d’humeur et son intransigeance, la capitulation de Saragosse et quelques autres victoires dont les historiens rendront compte.
Si l’archiduc, aux dires de l’Empereur, s’était replié sur le plateau de Wagram, c’était « pour panser ses plaies ». Lui-même allait faire de Lobau un centre de stockage de nos réserves de vivres et de munitions pour la bataille qui s’annonçait.
L’espoir renaquit avec l’arrivée des renforts : les troupes fraîches amenées d’Italie par le prince Eugène de Beauharnais. Nos forces s’élevaient désormais à environ cinquante mille hommes et six cents canons. De quoi donner des sueurs froides à l’archiduc !
Le 4 juillet, par une chaleur écrasante, nos armées étaient prêtes à affronter la dernière bataille. Masséna, malgré la chute de cheval qui lui faisait porter un bras en écharpe, avait pris le commandement du 4 e corps, mais un gros orage compromit les premières opérations, immobilisant les hommes sous le déluge, l’arme au pied et les pieds dans la boue.
La nuit précédente, chargé par l’Empereur de porter un ordre à Masséna, Lejeune s’était égaré. Il avait traversé par inadvertance un poste autrichien et échappé de justesse aux balles des sentinelles. Il avait reçu le même accueil en abordant nos lignes, nos vigiles l’ayant pris, malgré ses protestations, pour un ennemi.
Il se dirigeait vers l’endroit où il pourrait trouver le maréchal quand un juron retentit à travers l’ombre :
– Nom de Dieu ! Qui est ce foutu maladroit qui me réveille en piétinant mes jambes ?
Lejeune comprit qu’il venait de fouler aux pieds un de nos meilleurs maréchaux, le duc de Rivoli, Masséna, allongé sur une jonchée de fougères pour partager la condition de ses hommes.
– Je ne sais, me raconta Lejeune, ce que le message contenait, et je m’en foutais ! J’avais le ventre creux après avoir erré des heures dans la forêt, et les boutiques des cantiniers étant fermées. J’ai dû me contenter d’un quignon de pain et d’une tranche de lard trouvés dans la sabretache d’un cavalier du Wurtemberg gravement blessé. Ce n’était, me suis-je dit, ni le moment ni le lieu de faire le délicat.
Quand la diane avait sonné, Lejeune, glacé jusqu’aux os, s’était retrouvé, loin de ses quartiers, au milieu d’une armée qui paraissait figée sous l’orage. Si l’ennemi avait pu franchir le fleuve à ce moment-là, il l’eût anéantie en quelques heures. Les soldats transis jusqu’à la moelle avaient du mal à manier leurs fusils, et les cartouches avaient souffert de la pluie. Impuissants à allumer leurs feux et leurs pipes, ils juraient et menaçaient le ciel.
L’artillerie autrichienne avait dû mettre sa poudre au sec car un tonnerre lointain et des jets de boue semblaient préluder à un sérieux pilonnage.
J’appris au cours de cette infernale matinée que Marbot, blessé la veille par un biscaïen qui lui avait arraché à la cuisse droite la valeur d’une poignée de chair, avait été transféré,entre la vie et la mort, à l’hôpital de Vienne. Miracle : le lendemain il était en selle, disant qu’il en aurait fallu bien davantage pour le priver de la bataille annoncée !
L’Empereur avait rassemblé près de deux cent mille hommes, dont un fort contingent d’Italiens, de Bavarois, de Wurtembergeois, de Saxons et de Dalmates, trente mille cavaliers et cinq cents canons. Cette armée était sans doute la plus forte que l’on ait vue, mais elle manquait de la cohésion qui nous avait assuré l’ascendance à Austerlitz et à Iéna. Ces troupes hétéroclites criaient « Vive l’Empereur ! » lorsque la victoire nous semblait acquise mais se débandaient en jetant leurs armes au moindre revers.
Côté autrichien, l’archiduc pouvait aligner deux cent soixante-dix mille hommes, cavaliers compris, et environ quatre cents bouches à feu.
Tout semblait prêt pour le « bal » dont avait parlé l’Empereur, sauf que son armée piétinait dans la boue, affamée et avec des cartouches humides dans sa giberne.
Le passage du fleuve, entre Lobau et la rive gauche, s’effectua sous un double orage : celui qui incendiait le ciel et celui qui venait des lignes ennemies.
Persuadé que l’ennemi y avait massé des troupes, l’Empereur
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