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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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foutue guibole, la gangrène s’y serait mise, et alors là…
    Je lui demandai où en étaient les opérations. Il bougonna :
    – Si tu t’imagines que j’ai le temps de m’en informer ! Ce que je sais, c’est que l’archiduc à pris la poudre d’escampette et qu’on a sabré le champagne à l’état-major. Ce qui va suivre, j’en sais fichtre rien. Lejeune t’en parlera. Moi, je n’ai pas dormi depuis trois jours…

    Lejeune vint me rendre visite à la fin de la journée. Il me dit en s’asseyant par terre :
    – L’Empereur s’apprête à partir pour Znaïm, au nord de Vienne, et je vais le suivre. Nous allons donc être séparés. Notre belle et longue amitié restera pour moi le meilleur souvenir de cette guerre. Adieu donc, mon ami. Je vais te faire obtenir la médaille. Tu l’as bien méritée.
    Une larme au coin de l’œil, je le regardai partir de son pas nonchalant, la pointe de son sabre crissant sur les dalles, persuadé que nous ne nous reverrions plus. Lui serait aux armées, moi dans ma retraite du Périgord. Il n’y a guère de passerelles entre ces deux mondes.
    Quatre jours plus tard, avant mon retour en France, on me transféra à Vienne où Lejeune m’avait fait retenir un lit au quartier général. C’est là que j’appris que l’Empereur (« insatiable », avait dit Lannes) avait battu, le 11 juillet, les Autrichiens à Znaïm, aux portes de la Moravie. La bataille avait été difficile et, sans les renforts obtenus in extremis , elle aurait été perdue.

    J’étais à un tel degré obsédé par la perte de ma jambe que ce qui se passait ailleurs m’importait peu. Apprendre que l’Empereur avait pris Moscou m’eût laissé de marbre.
    J’arrivai au quartier général de Schönbrunn dans un fourgon de l’armée, par un bel orage d’été qui éclaboussait de phosphore les grands arbres de l’allée et la Gloriette. Je partageai ma chambre avec des officiers et des sous-officiers. L’ambiance était détendue sans être joyeuse, la nourriture saine et abondante, le vin et la bière généreux en qualité et en quantité. Cigares, tabac à fumer ou à chiquer ne nous étaient pas comptés.
    À vrai dire, je m’ennuyais. Par chance, j’avais pu garder quelques livres dans mon bagage, certains lus et relus, ce qui m’épargna les parties de cartes souvent animées de querelles.
    Lejeune commençait à me manquer. Je me refusais à croire que nous étions appelés à ne plus nous revoir, mais l’évidence de cette inexorable fatalité s’imposa vite. Je n’ai d’autre souvenir de lui que le portrait au pastel qu’il a fait de moi en uniforme de chasseur. C’était à Saragosse, le soir où nous avons fêté la prise du couvent de San-José.

    J’étais depuis quelques jours à Schönbrunn quand j’eus une visite qui, en d’autres circonstances, m’aurait ravi : celle de Marbot. Une balle ayant traversé son poignet droit, il souffrait atrocement, redoutait la gangrène et, pire, l’amputation du bras qui l’eût renvoyé à ses foyers.
    Il allait me donner des nouvelles de la campagne impériale. Après la bataille de Znaïm, à laquelle il avait participé, l’archiduc avait demandé l’armistice. Les pourparlers étaient en cours.
    Il me raconta comment il avait été blessé :
    – Lorsque les rumeurs de la capitulation de Charles se sont confirmées, je me suis précipité entre les deux lignes pour réclamer le cessez-le-feu. C’est alors, mon cher Antoine, que j’ai eu l’insigne honneur de recevoir l’ultime balle de cette bataille.
    – Tu aurais pu être le dernier mort !
    – C’est juste : j’avoue que je l’ai échappé belle. Je me trouvais au côté du comte d’Aspre, un aide de camp de l’archiduc, qui avait eu la même réaction que moi et venait d’être touché à l’épaule. Nous nous sommes embrassés en pleurant et, dans notre étreinte, son sang et le mien se sont mêlés.
    Il ajouta avec une grimace :
    – Cette foutue blessure me martyrise autant sinon plus que les précédentes. Je vais devoir porter mon bras en écharpe, comme Masséna, mais je te fiche mon billet que je ne tarderai pas à remonter à cheval, comme estafette si je suis incapable de me servir d’une arme.
    Le comte d’Aspre semblait ne pas vouloir se séparer de lui. Il souhaitait être présenté à Masséna, dont les campagnes d’Italie tenaient selon lui de la légende. Il avait exulté lorsque l’archiduc Charles lui avait

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