Mourir pour Saragosse
avait prévu de contourner les villages d’Aspern et d’Essling par des charges à la « fourchette ». Il n’en fut rien, pas un seul Autrichien ne se trouvant dans ces localités !
Une partie de la journée fut consacrée au transfert de l’armée de Lobau sur la rive gauche. Le lendemain, nos troupes enfin réunies et la poudre ayant séché, on passa à l’attaque, des unités commandées par Masséna et Davout précédant la cavalerie d’Arrighi, de Montbrun et de Grouchy. Le but de cette offensive était de prendre en tenaille les forces ennemies.
Au milieu de l’après-midi, l’Empereur avait la situation en main. Il en profita pour envoyer la division Friant balayerà la baïonnette les abords du plateau, ce qui fut fait dans les moindres délais. Les cuirassiers d’Arrighi eurent moins de chance : pour avoir négligé de la faire précéder d’une reconnaissance, leur charge s’était disloquée sur des redoutes défendues par une puissante artillerie.
Il fallut en découdre avec l’aile droite de l’archiduc qui venait de chasser Bernadotte du village d’Adeklaa. Venue à sa rescousse, la division Molitor avait repris cette position mais, au bord de l’épuisement, n’avait pu s’y maintenir.
D’avantageuses au lever du jour, les perspectives étaient devenues incertaines. Violemment pris à partie, Boudet avait dû abandonner ses batteries aux Autrichiens.
Cette succession de revers allait ouvrir les yeux de l’Empereur sur une évidence qui lui avait échappé : l’archiduc avait trop étiré ses forces et alourdi ses ailes au détriment du centre.
Napoléon somma le responsable de l’artillerie, Lauriston, d’aligner une centaine de canons sur un quart de lieue, face aux batteries adverses. J’assistai de loin à l’une des plus énormes canonnades de ma carrière. La plaine, à cet endroit-là, fut balayée par des nuages de fumée, au point que j’avais du mal à distinguer nos pièces.
En moins d’une demi-heure, les batteries autrichiennes furent réduites au silence. C’est la fameuse « batterie de Wagram », que l’histoire a déjà inscrite sur son grand registre. Nos canonniers survivants en eurent les oreilles bouchées durant des heures et certains à jamais.
Ce gigantesque feu d’artifice préludait à une attaque sur le centre adverse des vingt-six bataillons de la colonne Macdonald formée en carrés. À peine avait-elle enfoncé cette ligne que nos hommes, trop serrés pour pouvoir se servir avec précision de leurs fusils, durent reculer sous un feu intense, perdant ainsi neuf combattants sur dix.
Cette opération, qui se déroulait près du village de Sussenbrün, me parut propre à décourager l’Empereur. Je me trompais. Dans l’heure qui suivit, alors que l’ennemi resserrait ses dispositifs, il fit appel à ses réserves : la garde et une division bavaroise, ramenées de Lobau. Elles allaient accomplir des prodiges.
Profitant de la brèche ouverte dans le centre ennemi, elles s’élancèrent comme des forcenées, balayèrent les premières défenses et coupèrent l’armée autrichienne en deux. Tandis que d’autres divisions maîtrisaient les ailes, l’Empereur lançait toutes ses forces dans un assaut général qui allait achever l’opération par une éclatante victoire.
À la tombée de la nuit, nous eûmes la joie de voir ce qui restait de l’armée autrichienne lever le camp et commencer sa retraite, harcelée par notre cavalerie qui, épuisée par ces épreuves, renonça vite à la poursuivre.
L’Empereur avait rêvé de s’emparer de l’archiduc et de son état-major, mais ils étaient hors de portée.
Wagram, une grande victoire ? Certes, mais incertaine jusqu’au bout et remportée à quel prix ! L’Empire venait de pénétrer dans l’ère des grandes batailles et des monstrueuses hécatombes. Je me rappelai, au soir de cette journée, en fumant mon dernier cigare viennois, les propos de Lannes à l’empereur, à quelques heures de sa mort : « Hâte-toi de finir cette guerre, car tu ne seras jamais plus puissant… »
Ces paroles, inspirées par la sagesse et la prudence, n’avaient pas eu l’écho espéré. L’Empereur était entraîné par une pulsion irrépressible, comme par un torrent intérieur et il n’était pas dans sa nature de renoncer. Les circonstances, il faut en convenir, ne s’y prêtaient guère.
Cette campagne au cœur de l’Europe, je l’ai suivie au jour le jour et au plus
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