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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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général Molitor franchit le fleuve par le pont du génie et n’eut guère de peine à chasser de Lobau le faible contingent ennemi qui s’y trouvait. Deux autres ponts,en face d’Ebersdorf, permirent de faire passer dans l’île le gros des convois.
    Trois jours plus tard, Lejeune m’annonça que l’Empereur venait lui-même de traverser le fleuve.
    – Il était, me dit-il, d’une humeur sereine et même primesautière. Je l’ai entendu déclarer, en admirant à la lunette la vaste et magnifique plaine qui aboutit au plateau de Wagram : « Cet endroit est une magnifique salle de bal. Nous allons y faire danser les Autrichiens ! »
    L’armée de l’archiduc Charles venait enfin de faire son apparition. Elle avait occupé les villages d’Aspern et d’Essling, sans avoir l’intention d’ouvrir le bal. Lannes dit à l’Empereur, dont il ne partageait pas l’optimisme :
    – Majesté, cette affaire ne me dit rien qui vaille. J’ai la fâcheuse impression que, quel que puisse être l’issue de cette campagne, ce sera pour moi la dernière.

    Je me dois d’abréger le récit des combats qui furent livrés dans la confusion et se conclurent par une énorme hécatombe.
    À peine Lannes, à la tête de deux divisions, avait-il débarqué sur la rive gauche du fleuve qu’un déluge de feu s’abattit sur lui. Cent mille Autrichiens déboulèrent avec des cris de guerre. On allait se battre férocement pour la possession d’Aspern et d’Essling. On avait eu tort de miser sur le manque de pugnacité de ces soldats et de conviction de leurs officiers.
    Un drame allait porter une grave atteinte au moral de notre armée et rendre dramatique une situation déjà difficile.
    À la faveur de la nuit, l’ennemi dirigea sur nos ponts de bois des radeaux chargés de moellons qui, entraînés par le courant, les firent éclater comme des jouets, isolant les réserves de Lobau.
    Le lendemain, la situation parut tourner à notre avantage. Perché dans le clocher d’Aspern, Masséna eut l’heureusesurprise de voir l’armée de l’archiduc se replier en direction du nord, vers le plateau de Wagram. Elle nous abandonnait les deux villages mais, pilonnés par l’artillerie, ce n’était plus que des ruines fumantes. La bataille prit alors un autre visage.

    Mon affectation au corps du génie allait m’impliquer dans un travail de titan : la reconstruction des ponts de bois.
    La chaleur exceptionnelle de ce printemps, en faisant fondre les neiges, avait provoqué une crue subite du Danube, si bien que nos efforts semblaient vains. Nos sapeurs et les pontonniers de la marine faillirent renoncer, d’autant que des débris arrachés aux rives compliquaient leur tâche. À mi-corps dans l’eau glacée, ils s’efforçaient de raccorder les épaves quand, soudain, un moulin à eau, auquel l’ennemi avait mis le feu, dévala le torrent, emportant les résultats de nos premières tentatives.
    Une note touchante dans cette géhenne : un groupe de voltigeurs vit un grand cerf, suivi de deux biches, émerger du fleuve et prendre pied sur la rive. Épuisés, ils se laissèrent approcher et capturer. Malgré leurs yeux pleins de larmes, ils furent sacrifiés pour le bivouac du soir.

    Le 22 mai fut marqué par un nouvel événement dramatique. Le maréchal Lannes eut les deux jambes broyées par un boulet. Transféré à l’infirmerie de Lobau sur un fusil tenu par deux hommes, il avait perdu connaissance mais était encore vivant.
    Ému aux larmes, Napoléon se pencha sur lui :
    – Mon ami, me reconnais-tu ? C’est moi, Bonaparte.
    Lannes ouvrit les yeux et balbutia :
    – Oui, Majesté, je vous reconnais. Vous allez perdre le meilleur de vos amis.
    L’Empereur protesta :
    – Non, non, duc de Montebello ! Tu vivras et je te jure que l’ennemi paiera cher cette blessure !
    Le meilleur chirurgien de nos armées, Larrey, après avoir achevé de trancher les jambes du blessé, perdit tout espoir de le sauver. Lannes mourut quelques heures après son intervention.
    Marbot, resté près de lui jusqu’au terme de son martyre, nous rapporta que, durant l’ablation de ses membres, Lannes avait maudit l’Empereur, lui reprochant des ambitions démesurées, l’accusant de livrer des milliers d’hommes au sacrifice suprême et de n’écouter que des flatteurs. « Un jour ou l’autre, avait-il murmuré, on te trahira ! Hâte-toi de mettre fin à cette guerre, car tu ne seras jamais plus puissant.

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