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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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lit.
    – Antoine, m’avait prévenu Lavergne, il faut lui parler en patois. Elle connaît pas le français…
    – Eh bien, je me chargerai de le lui apprendre.

    Dans les jours qui suivirent cet accueil décevant, je demandai à Julia de fixer sur ma selle les courroies qui me permettrait de maintenir mon équilibre pour faire à cheval le tour du domaine.
    J’allai de Charybde en Scylla ! Les grappes pourrissaient dans la vigne, la luzerne n’avait pas été fauchée, des noix tapissaient le sol. Seule notre petite châtaigneraie avait été entretenue. Les porcs étaient efflanqués comme des loups, une vache meuglait dans l’étable et la volaille, malgré l’heure avancée, attendait sa provende.
    Accompagné de mes chiens, je poussai jusqu’à la métairie des Lavergne. Elle présentait, avec ses portes et ses fenêtres barrées, un tableau navrant. Le jardinet, tenu jadis avec amourpar l’épouse de mon métayer, était retourné à l’état de friche. Les rosiers étaient morts et la façade envahie par la glycine.

    J’eus une âpre discussion avec Lavergne, au cours de laquelle je lui reprochai ses négligences.
    – Que veux-tu que je dise, Antoine ? gémit-il. Les réquisitions nous laissent juste de quoi pas crever de faim. Et où veux-tu que je trouve du personnel ? Toute notre jeunesse est aux armées ! Et les mauvaises années de récoltes, tu y as pensé ? Et les impôts ? Et…
    – Tu diras à ton fils que je veux le voir. S’il refuse de travailler, il aura affaire à moi !
    Lavergne m’avoua que mon retour l’avait surpris. Il était persuadé, j’ignore pourquoi, que j’allais demeurer à Paris. J’eus du mal à lui faire comprendre que je comptais bien redresser la barre. J’avais l’impression de déranger un vieil ours en hibernation.

    Je devais une visite à mes plus proches voisins, les messieurs de Beauregard, pour mettre au clair cette affaire de bornage dont Lavergne m’avait rebattu les oreilles.
    Je fus reçu par le patriarche, le vieil Hugues. Il m’accueillit sinon avec chaleur du moins de manière courtoise et me rassura : un de ses fils, Auguste, se complaisait dans des chicanes de ce genre. On n’en parlerait plus…
    En m’invitant à boire un verre de madère assorti de rimottes frites à l’huile de noix, le baron m’entreprit sur ma blessure. Il n’eut pas à insister pour m’en faire raconter les circonstances. Je lui demandai des nouvelles de son autre fils, Arnaud. Il était parti en Hollande, en avait été chassé par l’armée du général Brune et devait se trouver en Angleterre. Je ne regrettais pas d’avoir refusé de le suivre sur les chemins de l’émigration.
    – La rumeur prétend, me dit-il, que l’Empereur serait sur le point d’abdiquer. La population ne supporte plus lesacrifice de ses enfants. Il se prépare des attentats, voire des soulèvements, un peu partout dans le pays.
    Autant de ragots que je ne daignai pas démentir, de crainte de le vexer en le faisant passer pour un naïf.
    – Je souhaite, m’assura-t-il, que nous entretenions de bons rapports, comme ceux que j’avais jadis avec votre famille. Qu’allez-vous faire de votre domaine ? Le vendre ? C’est le bruit qui court.
    – Il ne courra pas longtemps, monsieur le baron. Je suis bien décidé à mettre bon ordre à cette chienlit. D’ici à un an, vous ne reconnaîtrez plus Barsac.
    Si j’en croyais Lavergne, un autre bruit courait, selon lequel M. de Beauregard aurait aimé m’avoir pour gendre, en passant sur ma carrière dans les armées de « l’ogre corse ». Marcelline avait fait une courte apparition alors que je savourais le madère du baron. J’avais compris qu’elle ne serait jamais mon épouse : elle était souffreteuse, laide comme une vieille nonne et, de plus, mon aînée de dix ans…

    La confidence de Jeanne Fournier m’avait mis la puce à l’oreille. Si Héloïse tenait tant à me voir, sûrement dans l’intention de réparer ses torts, elle savait désormais où me trouver. Je l’attendais sans impatience et même avec un brin de perfidie : je l’espérais repentante, elle que j’avais connue bouffie d’orgueil et d’égoïsme. Peut-être aurais-je dû faire le premier pas mais, par fierté, je me retins.
    Dans l’enfer de Saragosse, je me disais que, revenu au pays, je lui ferais payer sa trahison, mais le temps et les événements, ne laissant en moi qu’indifférence, m’avaient fait oublier cette

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