[Napoléon 1] Le chant du départ
bord de mer.
Ici, la paix. Passé le col, la guerre.
Les Autrichiens des généraux Beaulieu et Argenteau attendent tout près du col, à Montenotte et à Diego. Les Piémontais du général Colli sont un peu en retrait plus à l’ouest, à Millesimo, et plus haut encore dans les montagnes, à Mondovi.
Napoléon engage son cheval sur la route. Les officiers le suivent, les soldats piétinent puis se remettent en marche derrière l’état-major.
Napoléon ne baisse pas la tête vers les hommes, qui s’écartent, ouvrant leurs rangs pour qu’il passe.
Il faut savoir envoyer ces hommes-là par centaines, par milliers, à la mort. De leur acceptation du sacrifice dépend la réalisation de ses projets.
Toute la nuit, à Albenga, il s’est laissé porter par l’imagination.
Il a vu les Autrichiens refoulés vers la Lombardie, les Piémontais battus, contraints de demander la paix. Pour cela, il faut frapper entre eux, les diviser, les battre séparément et, une fois le Piémont à genoux, poursuivre les Autrichiens vers la vallée du Pô, vers Lodi, vers Milan.
Tout dépend de ces hommes-là qui avancent sur les bas-côtés de la route et doivent accepter la mort. Ils doivent marcher nuit et jour pour aller plus vite d’un point à un autre, surprendre l’ennemi là où il ne les attend pas. Être toujours plus nombreux là où l’on attaque.
Alors, qu’importe qu’il y ait soixante-dix mille Autrichiens et Piémontais, si les soldats de l’armée d’Italie déferlent et submergent des unités plus faibles au moment de l’attaque !
Napoléon presse son cheval.
Il fait un signe aux officiers et aux sous-officiers qui marchent près de leurs hommes. Il faut hâter le pas.
Au moment où il s’éloigne, il entend les ordres lancés d’avoir à accélérer la cadence.
Marcher pour mourir, marcher pour tuer.
Commander, c’est savoir où l’on va faire mourir des hommes, où l’on va tuer des hommes.
Commander, c’est savoir mourir. Savoir ordonner le sacrifice. Et, pour cela, il faut que la pensée soit tendue comme un arc et que les mots jaillissent comme des flèches.
On se bat au sud de Montenotte. Qui ? Le chef de brigade Rampon, qui résiste aux assauts des Autrichiens d’Argenteau.
Napoléon sort de sa tente. Le champ de bataille est couvert de fumée. C’est le moment du choix. Le général Masséna doit tourner l’Autrichien, le général Laharpe attaquer de front. Les aides de camp s’élancent.
Savoir attendre.
Le 12 avril, à Montenotte, les Autrichiens sont battus. Le 13, ils le sont encore à Millesimo et à Diego.
Napoléon est assis sur une caisse recouverte d’un tapis rouge sombre : deux mille six cents prisonniers, peut-être huit mille morts chez les Autrichiens, et un millier d’hommes chez nous.
Rampon s’avance, couvert de sang et de boue. La guerre, c’est oublier les morts et féliciter les vivants.
Napoléon donne l’accolade à Rampon, et l’élève au grade de général de brigade.
Puis, tout en marchant, les mains derrière le dos, il écoute les rapports. Des unités se sont débandées pour chercher à manger et à boire. Masséna a dû rallier ces hommes dont beaucoup fuyaient les combats autour de Diego.
Des pillages ont eu lieu.
Comment se battre, comment mourir et tuer si la discipline cède ? Napoléon appelle Berthier, dicte.
« Le général en chef voit avec horreur le pillage affreux auquel se livrent des hommes pervers qui n’arrivent à leur corps qu’après la bataille… Faire fusiller sur-le-champ les officiers ou les soldats qui, par leur exemple, exciteraient les autres au pillage et détruiraient par là la discipline, mettraient le désordre dans l’armée et compromettraient son salut et sa gloire… »
Il précise encore : « On arrachera l’uniforme de ces hommes, ils seront flétris dans l’opinion de leurs concitoyens comme des lâches… »
Puis il se penche sur les cartes, trace des flèches d’un geste précis. Trois victoires en quatre jours. L’absence de joie en lui l’étonne. La défaite serait insupportable, mais le succès ne grise pas. Parce qu’il y a toujours un autre combat. L’action ne prend fin qu’avec la vie.
— Au tour des Piémontais de Colli, dit Napoléon.
Il ne dort plus, ou seulement quelques minutes, se réveillant dispos, plus pâle cependant, la phrase plus brève encore, les idées comme affûtées par la nuit.
Le 21 avril, Colli est battu à Mondovi, mais une
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