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[Napoléon 1] Le chant du départ

[Napoléon 1] Le chant du départ

Titel: [Napoléon 1] Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Il est imberbe, sourit ironiquement. Il boite. Il est difficile de lui donner un âge.
    Dans le salon, des hommes et des femmes conviés pour apercevoir Napoléon se sont levés. Talleyrand les présente avec une sorte de lassitude. Mme de Staël. Une extravagante que Napoléon regarde à peine. Il se méfie de cette femme qui le dévore des yeux, qui lui a écrit des lettres enflammées. Qu’est-ce qu’une femme qui ne sait pas se contenter de la séduction de son sexe et qui fait des phrases, qui joue d’audace ? Une femme qui essaie de masquer sa laideur. Napoléon lui tourne le dos, salue le navigateur Bougainville, puis suit Talleyrand dans son cabinet.
    Napoléon observe le ministre. Il est tel qu’il l’imaginait, le cou enveloppé dans une cravate très haute, la poitrine serrée dans une large redingote, la voix forte et grave, le port raide, grand seigneur qui voit les choses de haut, les yeux fixes, sans illusion. Un homme qui ne se paie pas de mots. Un joueur habile. Mais qui montre ostensiblement l’admiration qu’il porte à Napoléon, et lui, l’aîné, reconnaît au cadet glorieux la possession des cartes majeures. Mais il y a dans cette attitude suffisamment de détachement pour que Napoléon ne sente ni obséquiosité, ni reconnaissance d’une infériorité. « Vous avez la main, semble dire Talleyrand, je vous seconde dans ce jeu, mais je n’abdique rien. »
    Il faut des partenaires de cette sorte dans la partie que je joue .
    — Vous êtes neveu de l’archevêque de Reims qui est auprès de Louis XVIII, dit Napoléon.
    Il répète à dessein « Louis XVIII » comme un royaliste.
    — J’ai aussi un oncle qui est archidiacre en Corse, poursuit-il. C’est lui qui m’a élevé. En Corse, vous savez qu’être archidiacre c’est comme être évêque en France.
    Manière de suggérer qu’ils ont tous deux au-delà des intérêts immédiats une similitude d’origine, gage de leur collaboration.
    Cette première rencontre s’achève. Le salon s’est rempli. Un murmure respectueux accueille Napoléon.
    — Citoyens, dit Napoléon, je suis sensible à l’empressement que vous me montrez. J’ai fait de mon mieux la guerre et de mon mieux la paix. C’est au Directoire à savoir en profiter, pour le bonheur et la prospérité de la République.
     
    Il doit être prudent. Dans certains journaux, on laisse entendre déjà qu’il aspire à la dictature. Que vient-il faire à Paris ? demande-t-on. Il faut donc endormir ces adversaires, ne pas se montrer avide de gloire, plaire au plus grand nombre et se conduire en citoyen modeste, soucieux non de ses intérêts mais de ceux de la République.
    Il dîne chez Reubell, le Directeur qui fut le plus hostile aux clauses du traité de Campo-Formio, le supérieur et l’adversaire de Talleyrand. Il faut jouer l’effacement et le désintéressement.
    Mais aux yeux de l’opinion, le Directoire est composé d’hommes corrompus, rivaux. Il importe donc de ne pas se compromettre avec l’un des clans et montrer qu’on ne s’est pas enrichi à la guerre.
    Si l’on reçoit rue de la Victoire, ce doit être d’abord des hommes de sciences ou de lettres, des savants, des membres de l’Institut, des militaires. Il ne faut pas être confondu avec les hommes politiques. Berthollet, Monge, Laplace, Prony, Bernardin de Saint-Pierre, Desaix ou Berthier : ces citoyens-là sont au-dessus de tout soupçon. On parle métaphysique et poésie à Marie-Joseph Chénier, on fait une démonstration de mathématiques à Laplace, son vieil examinateur de l’École Militaire.
    Pari réussi, quand Laplace s’exclame : « Nous nous attendions tous à recevoir tout de vous, excepté une leçon de mathématiques ! »
    Une idée germe : être candidat à l’Institut, à la place laissée vacante par Carnot. Les journaux en parlent aussitôt. Chaque matin Napoléon les lit. Les journalistes s’étonnent : ce général ne paraît être préoccupé que de cette candidature honorable, désintéressée.
    Le 25 décembre, Napoléon est élu par trois cent cinq votants dans la Première classe de l’Institut, Sciences physiques et Mathématiques, section des Arts mécaniques.
    Le lendemain, il prend place entre Monge et Berthollet, afin d’assister, à quatre heures et demie de l’après-midi, à la première séance de l’Institut. Le soir, Mme Tallien, lors d’un dîner, le félicite.
    Moins de trois années ont passé et il est proche du

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