[Napoléon 1] Le chant du départ
contractée à Toulon.
Le soir, la ville est illuminée en son honneur. Joséphine est près de lui. Il se sent fort.
Le lendemain, on passe les troupes en revue. Devant les hommes alignés, il retrouve sous ce ciel qui est le sien, au milieu des odeurs de mer, de pins et d’oliviers qui lui sont si familières, l’énergie et l’allant que depuis plus d’un mois il contenait dans le Paris des manoeuvres et des habiletés tortueuses.
Ici, dans l’action, face à la mer, tout est plus simple. Clair comme la lumière de son enfance.
— Officiers et soldats, lance-t-il, il y a deux ans que je vins vous commander. À cette époque, vous étiez dans la rivière de Gênes, dans la plus grande misère, manquant de tout, ayant sacrifié jusqu’à vos montres pour votre subsistance : je vous promis de faire cesser vos misères, je vous conduisis en Italie. Là, tout vous fut accordé… Ne vous ai-je pas tenu parole ?
Cette vague d’assentiment, ce « oui » hurlé par ces soldats le soulève. Voilà ce qui s’appelle vivre.
— Eh bien, apprenez, reprend-il, que vous n’avez point encore assez fait pour la patrie, et que la patrie n’a point encore assez fait pour vous. Je vais vous mener dans un pays où, par vos exploits futurs, vous surpasserez ceux qui étonnent aujourd’hui vos admirateurs, et rendrez à la patrie des services qu’elle a droit d’attendre d’une armée invincible. Je promets…
Il s’interrompt un instant, laisse le silence s’installer.
— Je promets à chaque soldat qu’au retour de cette expédition, il aura à sa disposition de quoi acheter six arpents de terre…
Les fanfares jouent. On crie : « Vive la République immortelle ! »
Le 19 mai, à cinq heures du matin, Napoléon se tient à la poupe de l’embarcation qui s’éloigne du quai. Joséphine lui fait des signes d’adieu. Il la regarde longuement. A-t-elle vraiment voulu s’embarquer avec lui comme elle l’a laissé entendre, ou bien n’était-ce qu’une proposition sans conséquence dont elle savait qu’il la refuserait ? Il ne veut pas trancher. Il veut partir avec l’illusion qu’elle désirait rester à son côté.
Il se tourne vers le large. La rade est couverte de vaisseaux. Cent quatre-vingts navires attendent d’appareiller à six heures. Ancré à quelques encablures, l’ Orient , le navire amiral, se dresse comme une forteresse haute de trois étages, chacun armé de quarante canons.
Napoléon monte à bord, prend place aussitôt sur la passerelle. Le commandant Casabianca donne l’ordre aux navires de mettre à la voile. La mer est creusée par des vagues courtes. Les treize vaisseaux de ligne ouvrent la marche, vent debout, suivent les transports, entourés de frégates, d’avisos et de bricks.
Certains des navires lourdement chargés raclent le fond. Quand l’ Orient s’ébranle, il touche lui aussi le fond, penche, puis se dégage.
Napoléon n’a pas bougé. Il reste plusieurs heures sur le pont cependant que les navires gagnent la haute mer.
Il est le destin de ces trente-quatre mille hommes.
Il a choisi les divisions, les généraux, les pièces de canon. Il a veillé lui-même à la composition de la commission des Arts et des Sciences, dont il a voulu qu’elle accompagne l’armée.
Pour réussir, il faut tenter de tout prévoir.
Il se tourne vers Marmont qui se tient près de lui.
— Je mesure mes rêveries au compas de mon raisonnement, dit-il.
Huitième partie
Être grand, c’est dépendre de tout
19 mai 1798 – 9 octobre 1799
31.
Napoléon écoute, debout sur la passerelle de l’ Orient .
On longe les côtes de Corse. Le vent a faibli. Le temps est beau. On aperçoit déjà le cap Bonifacio et, au-delà, se profilent sur l’horizon les cimes de la Sardaigne. Après, on voguera vers la Sicile, puis Malte, la Crète, Alexandrie enfin.
Napoléon donne l’ordre au corps de musique de se rassembler sur le tillac avant. Les musiciens commencent à jouer. Déjà, des navires les plus proches, des fanfares répondent. Les voix des soldats entassés sur les ponts se mêlent aussitôt aux roulements des tambours et à l’éclat des cuivres.
On reprend en choeur, d’un navire à l’autre, Le Chant du départ qui, depuis 1794, est entonné dans toutes les armées.
La Victoire en chantant nous ouvre la barrière
La Liberté guide nos pas
Et du Nord au Midi la trompette guerrière
A sonné l’heure, l’heure des
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