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[Napoléon 1] Le chant du départ

[Napoléon 1] Le chant du départ

Titel: [Napoléon 1] Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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parmi les hommes. »
    Il provoque du regard Monge, assis près de lui, puis Bourrienne ou le général Caffarelli. Junot somnole déjà. Eugène de Beauharnais rêve. Berthollet bougonne. Pas un, pourtant, qui se déroberait à ces débats quotidiens que Napoléon a instaurés, parce que la pensée doit être en mouvement permanent, que chaque instant, chaque regard, fait naître une réflexion.
    — L’inégalité, reprend-il.
    Ont-ils lu Rousseau ? Caffarelli commence. « Les lois qui consacrent la propriété, dit-il, consacrent une usurpation, un vol. » La discussion est lancée.
    Napoléon se lève. Allons sur le pont.
    On marche en groupe. Il fait doux. On parle une partie de la nuit. On prolongera demain cette séance des « Instituts », ainsi que Napoléon nomme ces confrontations.
    Il demande à Bourrienne de le suivre dans sa cabine. Il s’allonge. Il a fait attacher au pied de son lit des boules de fer pour tenter de diminuer le roulis. Mais rien n’y fait. Parfois il doit rester couché. Bourrienne lit. Monge et Berthollet le rejoignent. On parle de Dieu, de l’islam, des religions qui sont nécessaires aux peuples.
    Napoléon tout à coup s’interrompt. Il veut que Bourrienne reprenne à haute voix la lecture du Coran. Le livre est classé là, au côté de la Bible, dans la bibliothèque, au rayon « Politique ».
     
    Le 9 juin, tôt le matin, Napoléon monte sur la passerelle de l’ Orient . L’amiral Brueys tend le bras. À l’horizon, des dizaines de voiles forment un moutonnement blanc. Dans la longue-vue, Napoléon repère le convoi parti de Civita Vecchia qui rejoint le gros de la flotte. Et cette bande de terre brune qu’on distingue à peine au-dessus de la mer, c’est Malte, et l’île de Gozo, qui n’en est séparée que par quelques encablures.
    Napoléon demande qu’on lui apporte son épée, puis il commence à dicter des menaces au ton d’ultimatum pour le grand maître des chevaliers de Malte, Hompesch.
    Il veut, dit-il, renouveler la provision d’eau de tous les navires. Il exige la reddition des chevaliers. Il sait qu’il va occuper l’île, peu importe la réponse que vont rapporter ces officiers qui s’éloignent de l’ Orient à bord de deux chaloupes.
    L’île doit passer sous le contrôle de la France. Sa possession fait partie du plan. Et rien ne peut s’y opposer. Elle doit être emportée comme un avant-poste lors d’une charge qui va continuer sa chevauchée, bien au-delà.
    « Le général Bonaparte, dicte-t-il, est résolu à se procurer par la force ce qu’on aurait dû lui accorder en suivant les principes de l’hospitalité qui est à la base de votre ordre. »
    Le débarquement des troupes peut commencer.
     
    Il entend des voix qui chantent La Marseillaise . Ce sont les soldats de la 9 e  demi-brigade qui escaladent les défenses de l’île de Gozo. Napoléon les aperçoit dans sa longue-vue. Il lance des ordres. Dans un grand remuement de cordages, des chaloupes sont descendues, les fantassins embarquent. Certaines touchent terre après quelques minutes, et déjà des fumées d’incendies s’élèvent ici et là.
    Napoléon commande un feu de batterie. Il faut montrer que rien n’arrêtera la force. Au bout de quelques heures, le grand maître Hompesch demande à parlementer.
    Napoléon, alors, peut parcourir les rues de La Valette. Il marche lentement dans cette ville aux rues pavées qui forment un damier. Ici, comme en Italie, il foule l’Histoire. Il est le successeur des chevaliers de la Croisade.
    Il reçoit ces chevaliers dans leur propre palais, sur lequel flotte le drapeau de la République. « Que ceux, dit-il, qui sont français et ont moins de trente ans viennent prendre leur part de gloire en rejoignant l’expédition. Quant aux autres, ils ont trois jours pour quitter l’île. »
     
    Puis il poursuit sa visite. Il est le maître de ce qui est un État. Rien ne peut résister à sa volonté, et cela excite son imagination.
    Il dicte des codes, des décrets, réorganise toute l’administration de l’île.
    Lorsqu’il va et vient dans la grande salle de l’Ordre, il s’arrête parfois devant l’un des blasons de chevalier. Durant quelques minutes, il ne dicte plus. Il avait fallu des siècles pour bâtir cet État. Il lui suffit de quelques heures pour en construire un différent. Et mettre ainsi en place, en seize paragraphes, toute l’administration de l’île, en finir avec les titres de noblesse.

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