[Napoléon 1] Le chant du départ
aide aux rebelles. Toute la vallée du Rhône est en guerre contre Paris. Avignon, Nîmes, mais aussi Marvejols et Mende sont aux mains des fédéralistes et des royalistes. Depuis que, le 2 juin, la Convention a décidé d’arrêter les députés girondins, Vergniaud, Brissot, Roland, ceux qui représentaient la province, partout c’est la révolte. Pas seulement en Provence, mais à Bordeaux, en Normandie, en Vendée bien sûr où les révoltés élisent pour chef de « l’armée catholique et royale » un ancien colporteur, Cathelineau. Les Montagnards, les Jacobins vont avoir bien de la peine à reprendre le contrôle du pays.
Napoléon a fermé les yeux.
Il pense à sa mère et à ses soeurs et frères qu’il a laissés dans une petite maison du village de La Valette, situé aux portes de Toulon. Mais cette ville, lui a-t-on dit, est un nid de royalistes et d’aristocrates, et la flotte anglaise croise à quelques encablures de la côte, n’attendant qu’un signal pour pénétrer dans la rade. Peut-être faudra-t-il fuir à nouveau, plus loin.
Napoléon a voulu, avant de partir pour Nice, où il rejoint les cinq compagnies du 4 e régiment d’artillerie qui y tiennent garnison, rassurer sa mère.
Elle a à peine levé la tête de ses fourneaux. Jérôme et Louis coupaient le bois. Élisa et Pauline se rendaient à la fontaine pour faire provision d’eau, laver le linge. Dans la semaine qu’il avait passée près des siens, Napoléon avait obtenu des autorités de Brignoles et de Saint-Maximin des secours, des rations de pain de munition. Les Bonaparte, a-t-il répété, sont des réfugiés patriotes, exilés de leur île pour ne pas vivre sous le joug des traîtres, des complices des Anglais.
Il a expliqué à sa mère qu’elle n’aurait pas longtemps à vivre dans ces conditions misérables. Joseph et Lucien allaient s’adresser à Saliceti, représentant en mission en Provence auprès de l’armée révolutionnaire chargée de combattre les fédéralistes girondins et les aristocrates. Quant à lui, il toucherait à Nice un arriéré de solde, près de trois mille livres. Il devait recevoir son brevet de capitaine commandant, chargé d’une compagnie d’artillerie.
Il a quitté La Valette, inquiet cependant. Si Toulon tombe aux mains des royalistes, si les Anglais pénètrent dans la rade, si les armées de la République ne reprennent pas la Provence et tout le pays en main, quel sort sera réservé à sa famille ? Et lui, quel destin ?
Il faut que la Convention l’emporte, que la République soit victorieuse.
Après quelques jours passés à Nice, Napoléon est encore plus déterminé à s’engager totalement aux côtés de la Convention.
Il le dit au général d’artillerie de l’armée d’Italie, Jean du Teil, le propre frère du maréchal de camp que Napoléon a connu à Auxonne et Valence.
— Officier au service de la nation, dit seulement Du Teil.
Napoléon est enthousiaste quand Du Teil lui confie la tâche de commander les batteries de la côte.
Il visite d’un pas nerveux chaque position. Le 3 juillet 1793, il écrit au ministre de la Guerre pour réclamer un modèle de four à réverbère, afin de chauffer les boulets, « en sorte que nous soyons dans le cas d’en faire construire sur notre côte et de brûler les navires des despotes ».
Il signe : Bonaparte.
Il n’a plus le souvenir d’une hésitation, comme si toutes les pensées, tous les projets qui l’avaient tourné vers la Corse n’avaient jamais existé. Ce capitaine-commandant de vingt-quatre ans est français, républicain, montagnard, partisan de la Convention contre ceux qui mettent en péril l’unité de la République. Il admet que les têtes roulent, que la « machine du docteur Guillotin » fasse chaque jour son office. Le roi a été décapité le 21 janvier 1793. La Convention montagnarde gouverne. La « Terreur » s’installe. Bonaparte l’accepte. Il a fait ce choix. Le seul qui lui permet d’imaginer son avenir ouvert, à conquérir.
Quelques jours plus tard, il traverse à nouveau la campagne provençale.
Il marche seul, sous le soleil déjà brûlant de juillet. Il aime cette chaleur sèche, ces couleurs, là des genêts, ici des lavandes, et l’ocre des villages perchés. Il se rend en Avignon pour, selon les ordres du général Du Teil, y organiser des convois de poudre et de matériel à destination de l’armée d’Italie.
Mais à plusieurs
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