[Napoléon 1] Le chant du départ
certitude de savoir comment il faut la conduire. Cela ne fait que quelques heures que Saliceti et Gasparin l’ont désigné au commandement de l’artillerie, mais peu importe, il sait. En lui, il n’y a pas un seul doute. Il sait. Et il faut qu’il sache, car c’est ici qu’il doit réussir.
Dans la maison qui se trouve en face, il entend des rires. Il distingue derrière les vitres les grands chandeliers posés sur la table. C’est là que loge le général Carteaux en compagnie de sa femme. Le général reçoit ses officiers à dîner.
Napoléon l’a vu dans la journée.
« Je suis un général sans-culotte », a dit Carteaux en regardant autour de lui avec assurance. Il a caressé sa large moustache noire, rejeté sa tête en arrière. Il a fière allure, avec sa redingote bleue, dorée sur toutes les coutures. En toisant Napoléon avec un mépris mêlé de suspicion, il a évoqué le capitaine Dommartin. « C’est une grande perte pour moi, a-t-il dit, que d’être privé de ses talents. »
Puis il a ajouté qu’il emportera tous les forts de Toulon tenus par ces Anglais, ces Espagnols, ces Napolitains, ces Siciliens, ces aristocrates, à l’arme blanche.
Napoléon l’a écouté en silence. Ce général est un ignorant. Et il a décliné son invitation à dîner.
Il a autre chose à faire : la guerre. Sa guerre.
Il ne va ni dîner, ni dormir.
Jusqu’à ce que Toulon soit tombé, rien d’autre ne compte que la guerre, rien.
Il interpelle un soldat qui ne sait pas où se trouve le parc d’artillerie. Napoléon découvre enfin les six canons qui le composent. Le sergent qui en est responsable ne dispose ni de munitions ni d’outils.
Ça, une artillerie !
Napoléon s’éloigne. Il faudra donc jouer avec ces cartes-là, une armée indisciplinée, une artillerie inexistante, un général incapable et soupçonneux, fier seulement d’avoir, le 10 août 1792, entraîné ses camarades gendarmes à rejoindre le peuple. La populace, murmure Napoléon.
Un général qui, depuis des années, se contente de peindre de petits tableaux !
Et c’est dans cette partie-là qu’on joue sa vie !
Mais c’est ainsi.
Il tombe une pluie fine que pousse un vent froid. Napoléon gravit le chemin qui conduit à l’un des sommets d’où l’on peut apercevoir la rade et les forts de Toulon. Il attend l’aube. Cette première nuit est celle de ses résolutions.
Quand le soleil se lève enfin, déchirant les derniers nuages bas, Napoléon est trempé jusqu’aux os. Alors il voit tous les forts qui dominent la rade et qu’occupent les Anglais et leurs alliés. Il distingue le fort La Malgue, la grosse tour et les forts de Balaguier et de Malbousquet, d’autres encore.
Et son regard s’arrête sur ce fort qui est planté dans sa mémoire. Ce fort de l’Éguillette commande l’étroit passage reliant la grande rade à la petite.
C’est la clé.
Napoléon est sûr de lui. C’est comme si plus rien n’existait en lui que cette certitude. Il faut conquérir ce fort, tout organiser en fonction de cette conquête. Les navires ennemis, sous le feu des canons de l’Éguillette, seront contraints de quitter les rades, et Toulon tombera.
Dans le soleil devenu chaud, Napoléon descend de la colline.
Le but est fixé, le calme s’est installé en lui. Il suffit maintenant de plier les hommes et les choses à ce but, de renverser tous les obstacles qui s’opposent à ce dessein. Il suffit d’écarter tous ceux qui ne le comprennent pas.
Il rencontre Saliceti et Gasparin, qui viennent à peine de se réveiller. Il marche à grands pas dans la pièce.
Il commence : « Toute opération doit être faite par un système, parce que le hasard ne fait rien réussir. » Puis il ajoute, se tournant vers la fenêtre, désignant d’un mouvement du menton la maison du général Carteaux : « C’est l’artillerie qui prend les places, l’infanterie y prête son aide. » En quelques phrases prononcées d’une voix calme, mais toute l’énergie d’un corps tendu semble porter les mots, il indique son plan.
Un siège de Toulon selon les règles est impossible. La ville attaquée de front, imprenable. Il faut chasser les navires alliés des rades, et pour cela les tenir sous le feu de l’artillerie qui les bombardera avec des boulets brûlants qui incendieront leurs voiles et leurs coques, feront exploser les soutes.
Et pour cela, Napoléon tend le bras, comme si on pouvait apercevoir
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