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[Napoléon 1] Le chant du départ

[Napoléon 1] Le chant du départ

Titel: [Napoléon 1] Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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s’y griller »
    Mais comment se jeter dans le brasier ?
    Brusquement, en ce mois de mars 1795, c’est comme si la corde de l’arc se détendait, parce qu’il n’y a plus de cible à viser et que la flèche retombe.
     
    Il se rend à Marseille.
    Lorsqu’il traverse Draguignan, Brignoles, et les petites villes du Var, il sent les regards hostiles qui le suivent. Les royalistes des Compagnies de Jésus ont envahi les campagnes, sévissent tout au long de la vallée du Rhône. On pourchasse les Jacobins. On les massacre dans les prisons de Lyon. Les Muscadins, à Paris, les assomment et font fermer le Club des Jacobins.
    Que faire sans appui, alors qu’on est un général de vingt-cinq ans soupçonné de jacobinisme, écarté, privé de commandement, dépendant du bon vouloir d’hommes inconnus, hostiles ou indifférents, puissants dans leurs bureaux des Affaires de la Guerre, et qui ne vous ont pas vu charger à la tête des troupes, qui ignorent et peut-être craignent tout ce qu’il y a en vous de force, d’énergie, de désir de vaincre ?
    Peut-être est-ce le temps des médiocres qui commence ?
    Où est ma place dans ce pays ?
     
    Il entre rue des Phocéens, à Marseille, dans le salon cossu des Clary.
    Joseph s’avance, grossi, souriant, tenant le bras potelé de son épouse, Julie Clary, cent cinquante mille livres de dot.
    Joseph s’efface, pousse vers Napoléon Désirée Clary, sa belle-soeur, une jeune fille brune au visage rond, au corps svelte. Elle a la timidité à éclipses de ses seize ans.
    Elle est mutine, admirative et douce. Elle s’offre sans coquetterie comme une place qui se livre dans un élan au chef de guerre qui s’approche.
    Napoléon s’assied près d’elle. Elle parle peu. Elle attend. Il rêve à être comme Joseph, ce chapon tranquille, heureux dans son ménage, mangeant gras et régulièrement, sans ennemis ni désirs, soucieux seulement du bonheur quotidien aux côtés des siens.
    La rêverie s’obstine, s’amplifie au fil des jours, en mars et en avril 1795.
    C’en serait fini, s’il se mariait avec Désirée Clary, d’être ce chat efflanqué qui rôde, le plus souvent seul.
    Il saisit le poignet de Désirée. Sa peau est fraîche. Sa main se laisse prendre et serrer.
    Chaque nuit, investir cette place, la posséder définitivement.
    Pourquoi pas ?
    Elle n’a que seize ans, dit-elle. Et lui seulement vingt-six dans quatre mois. Il la presse. Il met à donner de la réalité à ce rêve autant de force qu’à établir une batterie.
    Le 21 avril, sous le regard bienveillant de Joseph, le frère aîné, et de son épouse Julie née Clary, la soeur aînée, Napoléon et Désirée Clary sont déclarés fiancés.
    Tout est bien.
    Le 7 mai, Junot présente à Napoléon l’un de ces feuillets dont il reconnaît la couleur de l’encre.
    Il l’arrache des mains de Junot. Il lit. Il jure. Il est nommé commandant d’une brigade d’infanterie en Vendée.
    D’infanterie ! Lui, général de l’arme savante, lui, le « capitaine canon » du siège de Toulon, lui, le commandant de l’artillerie de l’armée d’Italie ! C’est une dégradation, pas une promotion.
    En Vendée !
    Lui, qui a combattu l’Anglais et le Sarde, lui, contre les Chouans !
    Il bouscule Junot, il pousse Joseph, il aperçoit Désirée Clary.
    Il la fixe.
    Son rêve est assis là, dans ce salon, bien sagement, les deux mains sur les genoux.
    Il part pour Paris demain, dit-il.
    Croit-on qu’il va se laisser étouffer, reléguer, exiler, humilier ? Qu’est-ce que le bonheur, sinon agir, se battre ?

Cinquième partie
    Mon épée est à mon côté, et avec elle j’irai loin
 Mai 1795 – 11 mars 1796

18.
    « Tu n’es rien ! »
    Personne ne lance ces quelques mots au visage de Napoléon depuis qu’il est arrivé à Paris, à la mi-mai 1795, en compagnie de Junot et de Marmont, ses aides de camp, et de son frère Louis. Et cependant, ce jugement méprisant ou indifférent comme un constat, il le devine à chaque instant, dans un regard, une attitude, un propos.
    Lorsque Napoléon se plaint que l’appartement meublé qu’il loue à l’hôtel de la Liberté, rue des Fossés-Montmartre, est sommairement meublé et que le linge en est douteux, l’hôtelier se contente de répéter : « Soixante-douze livres par mois, soixante-douze livres. » Que demander de plus, en effet, pour ce prix-là ?
    Or, l’argent ruisselle partout. Faisant tourner leurs grosses cannes

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