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[Napoléon 1] Le chant du départ

[Napoléon 1] Le chant du départ

Titel: [Napoléon 1] Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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torsadées, les élégants du moment, en perruque poudrée, « incroyables » accompagnés de leurs « merveilleuses », se pavanent sur les boulevards et rossent le Jacobin et le « Sans-culotte ».
    Napoléon maugrée : « Et ce sont de pareils êtres qui jouissent de la fortune ! »
    Lui n’est rien.
    Il réclame le remboursement de ses frais de route, deux mille six cent quarante livres. Il se présente au ministère de la Guerre pour toucher sa solde et ses six rations de vivres quotidiennes. Mais un jour suffit pour que la monnaie perde dix pour cent de sa valeur ! Que sont les liasses d’assignats qu’on lui attribue ? Du papier qui se consume !
    Dans les bureaux du ministère, à peine si l’on prête attention à lui. Il attend que le ministre Aubry daigne le recevoir. Aubry ! Un vieux capitaine d’artillerie qui s’est nommé lui-même général, inspecteur de l’artillerie, et qui décide des carrières ! Un officier qui doit son poste aux intrigues et dévisage Napoléon avec un air de supériorité insupportable.
    Napoléon plaide : il est artilleur, général de brigade, il ne peut accepter ce commandement d’une unité d’infanterie.
    — Vous êtes trop jeune, répète Aubry. Il faut laisser passer les anciens.
    — On vieillit vite, sur les champs de bataille, et j’en arrive ! reprend-il.
    Une phrase de trop, quand on n’est rien, qu’on ne dispose d’aucun soutien, qu’on ne porte qu’un uniforme râpé sur lequel on distingue à peine le galon de soie du grade.
    La rue, les bureaux, les salons sont pleins d’une foule d’élégants et d’élégantes qui ne voient même pas cet officier aux cheveux mal peignés et mal poudrés qui tombent sur les épaules comme d’immenses oreilles de chien. Ses mains sont longues et maigres, la peau jaune. Il se tient voûté, un mauvais chapeau rond enfoncé jusqu’aux yeux. Il avance d’un pas gauche et incertain. Il n’y a que son regard qui parfois surprend, gris, perçant. Et alors, on remarque les traits du visage, la bouche fine, le menton volontaire, l’expression résolue, l’énergie qui se dégage de cette physionomie juvénile et cependant déjà sculptée, presque émaciée.
     
    Mais Napoléon sent bien que le regard qu’on lui porte est sans indulgence. On se détourne après avoir évalué d’un coup d’oeil sa tenue, ses bottes éculées et poussiéreuses, son teint maladif.
    Les pauvres, en ce printemps 1795, sont suspects. Le 1 er  avril, ils ont manifesté, et ils recommencent le 20 mai, quelques jours à peine après l’arrivée de Napoléon. Ils ont envahi la Convention, décapité le député Féraud, promené, comme lors des journées révolutionnaires, sa tête au bout d’une pique ! L’armée, sous le commandement du général Menou, a rétabli l’ordre. Mais les cris que les faubourgs ont poussés : « Du pain ! » et « La constitution de 1793 ! » ont donné le frisson. Il faut davantage encore écraser le talon sur la gorge de la populace.
    — Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social, celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature, c’est-à-dire dans la barbarie, déclare le Conventionnel Boissy d’Anglas.
    Napoléon sait bien que continue de peser sur lui le soupçon de robespierrisme et qu’il n’est pire tache d’infamie ces mois-ci.
    Il rôde dans Paris, pour comprendre où sont les puissances qui déterminent l’ordre des choses. Il est sûr que tout se décide ici, dans la capitale. Rien ne sert de faire le brave sur les champs de bataille, si l’on ne conquiert pas d’abord des appuis parmi ceux qui détiennent les pouvoirs. Accepter de se rendre à l’armée de l’Ouest, ce serait non seulement déchoir injustement, mais perdre toute possibilité d’avancer, de parvenir enfin à se faire reconnaître pour ce que l’on est, ce que l’on vaut.
    Mais en lui cette tension vers l’avenir est si forte qu’elle l’épuise. Il est constamment aux aguets, en chasse, sans savoir exactement ce qu’il guette, d’où viendra la proie, sur qui il faudra bondir, ni comment.
    Parfois, il se sent exténué par cette quête anxieuse.
    « Je suis malade, écrit-il à son frère aîné Joseph, ce qui m’oblige à prendre un congé de deux ou trois mois. Quand ma santé sera rétablie, je verrai ce que je verrai. »
     
    Il souffre vraiment, il est fiévreux, hâve, avec des accès de désespoir.
    Il prend la

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