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[Napoléon 1] Le chant du départ

[Napoléon 1] Le chant du départ

Titel: [Napoléon 1] Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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plume, écrit lettre sur lettre à Joseph. Souvent il est au bord des larmes.
    « Je sens, en traçant ces lignes, écrit-il, une émotion dont j’ai eu peu d’exemples dans ma vie ; je sens bien que nous tarderons à nous voir, et je ne puis plus continuer ma lettre. »
    Il est seul malgré la présence à son côté de Junot. Marmont a rejoint l’armée du Rhin, Louis a été accepté à l’école d’artillerie de Châlons-sur-Marne. Il a besoin de sa famille. « Tu le sais, mon ami, écrit-il encore à Joseph, je ne vis que par le plaisir que je fais aux miens. »
    La nostalgie le prend d’une vie différente : « La vie est un songe léger qui se dissipe », dit-il. Pourquoi ne pas choisir une « maison tranquille », une vie campagnarde ?
    Il écrit à Bourrienne : « Cherche-moi un petit bien dans ta belle vallée de l’Yonne. Je l’achèterai, dès que j’aurai de l’argent. Je veux m’y retirer, mais n’oublie pas que je ne veux pas de bien national. »
    Prudent comme un bourgeois qui craint qu’un jour les émigrés ne viennent réclamer leur propriété !
    Lorsqu’il songe ainsi à s’enfouir dans le confort paisible d’une vie familiale, il lance tout à coup à Junot : « Qu’il est heureux, ce coquin de Joseph ! » Et sa pensée se tourne vers ces jours passés aux côtés des Clary. Il songe à Désirée, la belle-soeur de Joseph. Il s’enflamme, écrit en quelques nuits un court roman, qu’il intitule Clisson et Eugénie . Il se dévoile, mettant en scène un jeune homme de vingt-six ans couvert déjà de lauriers conquis dans les batailles, mais amoureux d’une Eugénie de dix-sept ans. Clisson est homme tout d’une pièce, qui a les qualités que Napoléon se prête : « Clisson ne pouvait s’accoutumer aux petites formalités. Son imagination ardente, son coeur de feu, sa raison sévère, son esprit froid ne pouvaient que s’ennuyer des câlineries des coquettes et de la morale des brocards. Il ne concevait rien des cabales et n’entendait rien aux jeux de mots. »
    Pour se vouer à l’amour d’Eugénie, Clisson quitte l’armée, mais rejoint le champ de bataille lorsqu’un ordre urgent du gouvernement l’y appelle. Il remporte victoire sur victoire, mais il découvre qu’Eugénie ne l’aime plus. Alors il renonce à la vie, en lui adressant une dernière lettre : « Que me restait-il pour l’âge futur, que la société et l’ennui ! »
    « J’ai à vingt-six ans épuisé les plaisirs éphémères de la réputation, mais dans ton amour j’ai goûté le sentiment suave de la vie de l’homme. Embrasse mes fils, qu’ils n’aient pas l’âme ardente de leur père, ils seraient comme lui victimes des hommes, de la gloire et de l’amour.
    « Clisson plia sa lettre, donna ordre à un aide de camp de la porter à Eugénie sur-le-champ, et tout de suite se mit à la tête d’un escadron, se jeta tête basse dans la mêlée et expira percé de mille coups. »
    Napoléon a vingt-six ans et l’âme trop ardente comme Clisson, son héros.
    Il est dans sa chambre de l’hôtel de la Liberté.
    Il n’a pas dormi de toute la nuit. La chaleur de ce début d’août 1795 est accablante. Junot est couché dans la pièce voisine.
    Il est si tôt ! Que faire ? Napoléon relit le roman qu’il vient d’achever, le corrige, réécrit trois fois les premières pages. Puis commence une lettre à Joseph. « Je crois que tu as fait exprès de ne pas me parler de Désirée… Si je reste ici, il ne serait pas impossible que la folie de me marier me prît ; je voudrais à cet effet un petit mot de ta part là-dessus. »
    Napoléon veut que Joseph évoque cette question avec le frère de Désirée. Il trace les mots de son écriture anguleuse et rapide. « Continue à m’écrire exactement, vois d’arranger mon affaire de manière que mon absence n’empêche pas une chose que je désire. »
    Encore quelques lignes, puis, pour conclure la lettre, cette question brutale : « Il faut bien que l’affaire de Désirée se finisse ou se rompe. J’attends ta réponse avec impatience. »
     
    Écrire un roman, s’y regarder comme dans un miroir, tenter de forcer une jeune fille lointaine à l’épouser, ce sont des actions, des manières de lutter contre ce vide qu’est l’incertitude, cette angoisse que fait naître l’immobilité.
    Mais ce désir, ces pages, cette demande ne sont qu’un moment parmi beaucoup d’autres durant lesquels

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