[Napoléon 1] Le chant du départ
Joséphine dans l’hôtel particulier de la rue Chantereine. Le chien Fortuné, un ruban noué autour du cou, gambade, et aboie lorsque Napoléon enlace Joséphine et la pousse jusqu’au lit, impérieux et passionné.
Parfois il la devine réticente, simplement soumise. Et cela l’inquiète. Elle sera son épouse dans quelques jours. Il l’embrasse avec fougue. Imagine-t-elle sa passion ? Elle sourit, lèvres closes.
Il la presse. Elle sera sa femme.
Il faut un contrat de mariage. Joséphine se rajeunit de quatre années. Il le sait. Il se vieillit de dix-huit mois. Qu’importe ces détails. Il veut ce mariage.
Quand M e Raguideau lit que le futur époux « déclare ne posséder aucun immeuble, ni aucun bien immobilier autre que sa garde-robe et ses équipages de guerre », Napoléon se lève, relit la phrase, demande qu’on la raye. La séparation des biens est prévue entre les époux. Joséphine recevra en cas de décès de Napoléon quinze cents livres. Elle garde la tutelle sur ses enfants, Hortense et Eugène. L’acte dresse la liste du trousseau qu’elle apporte : quatre douzaines de chemises, six jupons, douze paires de bas de soie… Napoléon, ostensiblement, n’écoute pas, se figeant cependant quand il est fait état, parmi les biens de Joséphine, de deux chevaux noirs et d’une calèche.
C’est Barras qui avait fait remettre cet équipage par les écuries nationales, en dédommagement des biens perdus par le général Beauharnais sous la Terreur.
Le 9 mars 1796 (19 Ventôse an IV), jour du mariage, fixé à neuf heures du soir à la mairie de la rue d’Antin, Napoléon a réuni ses aides de camp. Il fixe à chacun sa tâche. La nomination à la tête de l’armée d’Italie a été rendue officielle le 2 mars. Le départ pour Nice, siège du quartier général, a été fixé au 11 mars. Il faut que les aides de camp préparent les étapes, le logement de Napoléon, convoquent les généraux.
Tout à coup, Napoléon lève la tête et bondit. Il est plus de neuf heures. À la mairie, Barras, Tallien et Joséphine doivent s’impatienter.
Suivi de l’un de ses aides de camp, Le Marois, Napoléon se précipite. Il a déjà remis à Joséphine la petite bague de saphir qui tient lieu d’anneau nuptial. À l’intérieur sont gravés les mots « Au Destin ».
Il est dix heures quand il arrive à la mairie. Il gravit les marches en courant.
Ils sont tous là à l’attendre. Le maire Le Clerq somnole à la lumière des bougies.
Napoléon le secoue. La cérémonie commence, brève. Joséphine murmure son accord. Oui, dit Napoléon d’une voix sonore.
Puis il entraîne Joséphine.
Elle est à lui pour deux nuits.
Le 11 mars, en compagnie de son frère Louis, de Junot et de l’ordonnateur Chauvet, Napoléon part pour le quartier général de l’armée d’Italie.
Joséphine se tient sur le perron. Il lui fait un signe. Elle est à moi.
Comme l’Italie le sera .
Sixième partie
Je voyais le monde fuir sous moi…
27 mars 1796 – 5 décembre 1797
21.
Dans la voiture de poste, Napoléon se tait. Aux relais, d’un signe, il réclame à Junot du papier et de l’encre, une plume et s’éloigne de la salle où l’on servira le dîner.
Il s’installe à une petite table. Il écrit.
Cette séparation d’avec Joséphine est un arrachement. Il a besoin d’elle. Il voudrait son corps près du sien. Il se révolte devant ce qu’il ressent comme une mutilation.
Il veut tout posséder.
Elle et le commandement en chef de l’armée d’Italie.
Pourquoi faut-il qu’aller vers l’un se paie de l’éloignement de l’autre ? Stupide, injuste, inacceptable.
Et ce voyage vers Nice n’en finit pas ! L’arrivée n’est prévue qu’à la fin mars ! La voiture s’arrête à Fontainebleau, à Sens, à Troyes, à Châtillon, à Chanceaux, à Lyon, à Valence. Il séjournera deux jours à Marseille afin de revoir sa mère.
À chaque étape, la tentation le prend de repartir vers Paris, d’arracher Joséphine à son boudoir, à ses amis, de la contraindre à le suivre.
Ce n’est pas encore le moment. Plus tard, elle viendra. Il a d’abord une tâche à accomplir, difficile. Car l’armée d’Italie est la plus démunie des armées de la République. Elle ne doit jouer qu’un rôle mineur, fixer une partie des troupes autrichiennes afin que les grandes armées du Rhin, bien pourvues, celles des généraux Moreau ou Pichegru, remportent contre Vienne
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