[Napoléon 3] L'empereur des rois
expression. Les yeux sont restés mi-clos.
— Prenez garde, poursuit Fouché. L’Espagnol n’est pas flegmatique comme l’Allemand ; il tient à ses moeurs, à son gouvernement, à ses vieilles habitudes. Encore une fois, prenez garde de transformer un royaume tributaire en une nouvelle Vendée.
— Monsieur le duc d’Otrante…
Napoléon commence à arpenter le salon.
— Que dites-vous ? poursuit-il. Tout ce qui est raisonnable en Espagne méprise le gouvernement ; quant à ce ramas de canailles dont vous me parlez, qui est encore sous l’influence des moines et des prêtres, une volée de coups de canon le dispersera. Vous avez vu cette Prusse militaire…
Il s’arrête devant Fouché.
— Cet héritage du Grand Frédéric est tombé devant nos armées comme une vieille massue. Eh bien, si je le veux, vous verrez l’Espagne tomber dans ma main sans s’en douter et s’en applaudir ensuite.
Fouché reste impassible.
Napoléon va vers la fenêtre. Le vent fait trembler les couleurs rousses de l’automne sur les grands arbres de la forêt.
Napoléon revient lentement vers Fouché. Il n’a rien décidé encore. Il a simplement demandé à son chambellan, M. de Tournon, de se rendre à Madrid afin d’apporter une réponse à Charles IV et de se renseigner sur l’état du pays, de son armée, des postes qu’elle occupe, et aussi de bien examiner l’opinion du pays.
Monsieur le duc d’Otrante est-il satisfait ?
Fouché, lentement, lève le bras, montre son portefeuille qu’il tient à la main. Il veut lire un mémoire à Sa Majesté, dit-il. C’est l’objet de sa visite.
— Lire ?
Napoléon s’assoit et fait un signe.
Fouché commence à lire de sa voix métallique.
Napoléon écoute Fouché qui dit, sans lever les yeux, qu’il est nécessaire pour le bien de l’Empire de dissoudre le mariage de l’Empereur, de former immédiatement un nouveau noeud plus assorti et plus doux, et de donner un héritier au trône sur lequel la providence a fait monter l’Empereur.
Fouché se tait enfin, referme le portefeuille.
Que répondre ?
Les mots manquent. Fouché a toujours la pensée acérée. Il devine et pressent.
Dans mon esprit le divorce est arrêté. C’est, comme Fouché l’a dit, une nécessité politique. Mais comment rompre avec Joséphine sans la détruire ou l’humilier ?
Comment me séparer d’elle, qui m’a vu gravir toutes les marches de la destinée ? Comment ne pas craindre que ma rupture avec elle ne soit la chute de ma bonne étoile ?
À moins qu’elle ne consente au divorce, qu’elle ne soit à ce point protégée dans cette tourmente qu’elle s’y résolve elle-même, – mieux, qu’elle ne la suggère .
Que sa compréhension désarme le destin et me protège de sa vengeance .
Napoléon congédie Fouché.
Il a besoin d’être seul.
Ce divorce, il y pense sans cesse. Quand il regarde Joséphine, triste le plus souvent, comme accablée depuis la mort de son petit-fils, Napoléon-Charles.
Autour d’elle, Caroline et Pauline, et sa mère aussi, sont des rapaces qui guettent le moment où viendra enfin la répudiation. D’ailleurs, on se détourne déjà de Joséphine, on préfère le salon que tient Caroline Murat à l’Élysée, et où complotent Fouché, Talleyrand, qui veulent tous le divorce.
Mais Napoléon n’avait pas imaginé que Fouché eût pu avoir une telle audace.
C’est Fouché qui doit répandre dans Paris ces rumeurs que rapportent les espions de police. Le divorce est décidé, répète-t-on dans les salons. Napoléon hésite, observe Joséphine tout au long de ces soirées où elle préside les dîners ou son cercle. Elle est émouvante dans ce désespoir qu’elle n’arrive pas à masquer. Elle lui jette parfois des regards de noyée.
Il détourne la tête, quitte le salon, s’enferme.
Que peut-il ? Adopter le comte Léon ? Il a revu l’enfant d’Éléonore Denuelle, vigoureux et éveillé. Il l’a pris dans ses bras. Il a été ému, irrité par le bavardage prétentieux d’Éléonore. Il veut bien cet enfant mais il ne veut pas de cette mère-là. Il ne peut pas. Il est l’Empereur. Il lui faut une mère et un fils qui soient à la hauteur de sa dynastie. Aurait-il donc mieux marié ses frères qu’il ne l’est, lui ?
Il se rebelle.
Il chasse pour que le vent de la course dans la forêt balaie cette obsession qui l’habite.
Lorsqu’il rentre au château, Joséphine est là qui
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