[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
Garde, et de là il pourra diriger les mouvements des troupes.
Il faut qu’il vive, pense-t-il. D’abord vivre, pour pouvoir mourir en soldat s’il le faut.
Il dit : « Dresde. »
Il ferme les yeux. On le soutient, on le porte jusqu’à une voiture. Elle remonte le fleuve des hommes en armes qui coule vers l’est.
Il est dans son cabinet de travail, allongé.
On vient de lui apporter un lot de dépêches. Macdonald a été battu par Blücher. Il a perdu trois mille hommes, vingt mille prisonniers et cent canons. Et combien d’aigles ? Le corps du général Vandamme, qui s’était lancé à la poursuite de Schwarzenberg, a été encerclé à Kulm, et Vandamme fait prisonnier avec ses soldats. Ney a été vaincu lui aussi, à Dennewitz, par le général prussien Bülow. Qu’est devenue la victoire de Dresde ?
Il a de la peine à se lever, et voilà plus d’un jour qu’il est couché !
Il reçoit Daru. L’intendant général de la Grande Armée a le visage des mauvais jours. Les munitions commencent à manquer. Les hommes, admet-t-il, sont mal nourris. La dysenterie et la grippe, avec ce climat, les couchent sur le flanc avant même la bataille.
— Sinistre, murmure Napoléon.
Il se lève, refuse l’aide de Daru, va jusqu’à la fenêtre. La pluie continue.
— Mon expédition en Bohême devient impossible, dit-il.
Il peut à peine faire quelques pas. Il veut demeurer seul. Il s’oblige à rester debout, appuyé à la croisée.
Je sens les rênes m’échapper. Je n’y peux rien. Partout les contingents saxons, bavarois, allemands désertent. Les trahisons commencent à se glisser jusqu’auprès de moi. On m’assure que Murat, s’il se bat, continue de négocier avec les Anglais. Les généraux, à l’exception de quelques-uns, sont gorgés de trop de considération, de trop d’honneurs, de trop de richesses. Ils ont bu à la coupe des jouissances ; désormais ils ne demandent que du repos. Ils sont prêts à l’acheter à tout prix. Le feu sacré s’éteint. Ce ne sont plus là les hommes du début de notre Révolution ou de mes beaux moments .
Il marche maintenant, en tendant tous ses muscles pour ne pas chanceler.
« Un coup de tonnerre peut seul nous sauver et il ne reste donc qu’à combattre. »
Les forces peu à peu lui reviennent.
— Voilà la guerre. Bien haut le matin, bien bas le soir, dit-il à Maret en consultant les dernières dépêches.
Elles sont sinistres, comme il l’a prévu.
La Bavière a signé un armistice avec les Alliés. Plus de Saxons et plus de Bavarois. Une colonne de cavaliers russes a percé jusqu’à Cassel et chassé Jérôme de sa capitale. Plus de Wurtembergeois !
Mais quelle autre réponse que se battre ?
— On peut s’arrêter quand on monte, dit-il, jamais quand on descend.
Le mardi 31 août, il va et vient dans sa chambre.
Des vers autrefois appris quand il était en garnison à Valence, jeune lieutenant plein de rage et d’énergie, lui reviennent à la mémoire. Il les répète plusieurs fois :
J’ai servi, commandé, vaincu quarante années
Du monde entre mes mains j’ai vu les destinées
Et j’ai toujours connu qu’en chaque événement
Le destin des États dépend d’un seul moment .
Ce moment, il peut, il veut, il doit le vivre encore.
Il est à nouveau à la tête des troupes. Il franchit la Spree, cherchant à rejoindre Blücher qui refuse le combat.
Il s’arrête après des jours de chevauchée. Il entre dans une ferme abandonnée. Il voit les chasseurs de son escorte mettre eux aussi pied à terre ainsi que les aides de camp qui s’approchent de lui, attendent ses ordres.
Mais il n’a rien à dire. La fatigue le terrasse. Il se couche sur une botte de paille et reste ainsi de longues minutes à regarder, au travers du toit défoncé par les boulets, les nuages glisser dans le ciel bleu.
Un aide de camp s’approche, attend plusieurs minutes.
Je le vois sans l’entendre. Il me faut faire effort pour l’écouter .
Les troupes de Blücher et de Schwarzenberg convergent vers Dresde, dit l’officier. Bernadotte a traversé l’Elbe, au nord. Blücher s’apprête à passer le fleuve plus au sud. Murat est en pleine déroute.
Napoléon écoute. Il se dresse, lance des ordres, d’une voix vive et résolue. Il faut abandonner la ligne de l’Elbe pour ne pas être cerné, se replier autour de Leipzig. Il faut se battre, on se battra. Ce peut être le coup de tonnerre qui
Weitere Kostenlose Bücher