[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
Et cet homme, Wolff, est aussi un ancien du régiment de La Fère.
Il va donner l’ordre du départ quand on lui apporte des dépêches de Caulaincourt qui continue à négocier. Il les écarte.
— Je ne lis plus ses lettres, dit-il. Dites-lui qu’elles m’ennuient. Il veut la paix ! Et moi, je la veux belle, bonne, honorable !
Le lundi 7 mars, il entre chancelant de fatigue dans le petit village de Bray-en-Laonnois. Il a un moment d’hésitation avant de franchir le seuil de la maison où il doit passer la nuit. Des blessés et des mourants sont allongés à même le sol. La bataille de Craonne a été dure, incertaine.
Il s’assied dans un coin. Il prend sa tête dans ses mains.
Au milieu de la nuit, un nouvel envoyé de Caulaincourt lui annonce que toutes les propositions françaises ont été repoussées par les Alliés. Les coalisés n’acceptent qu’une France réduite à ses anciennes limites.
Napoléon se dresse, lance, en franchissant les corps étendus :
— S’il faut recevoir les étrières, ce n’est pas à moi à m’y prêter, et c’est bien le moins qu’on me fasse violence.
Se battre donc, à Laon, avancer vers Reims.
Et apprendre, le jeudi 10 mars, que Marmont, qu’il a laissé devant Paris, a reculé, cédé.
Marmont, mon compagnon depuis la guerre d’Italie ! Marmont, qui lâche pied .
Il faut faire face, minimiser l’affaire, dire : « Ceci n’est qu’un accident de guerre, mais très fâcheux dans un moment où j’avais besoin de bonheur. »
Si Marmont aussi cède, après Murat, après Augereau, après Victor, après Bernadotte, sur qui puis-je compter encore ?
Puis-je même avoir confiance dans mon frère ? Joseph veut peut-être lui aussi sauver son avenir, prendre enfin sa revanche sur moi ?
De quoi ne serait-il pas capable ?
Un doute l’assaille tout à coup.
« Mon amie, écrit-il à Marie-Louise, n’aie pas trop de familiarité avec le roi Joseph. Tiens-le loin de toi, qu’il n’entre jamais dans ton intérieur ; reçois-le comme Cambacérès, en cérémonie et dans ton salon… Mets beaucoup de réserve avec lui et tiens-le loin de toi ; point d’intimité, et plus que tu pourras parle-lui devant la Duchesse et à l’encoignure d’une fenêtre. »
Il faut se méfier de tous et de tout. Il les sent à l’affût.
Joseph pourrait vouloir séduire Marie-Louise. Joseph, me dit-on, a conçu le projet d’une Adresse en faveur de la paix, qu’il ferait approuver par des dignitaires .
« La première adresse qui me serait présentée pour demander la paix, je la regarderais comme une rébellion », dit-il.
Que fait donc ce ministre de la Police, Savary, duc de Rovigo ?
« Vous ne m’apprenez rien de ce qui se fait à Paris. Il y est question d’Adresse, de régence et de mille intrigues aussi plates qu’absurdes, et qui peuvent tout au plus êtres conçues par un imbécile… Tous ces gens-là ne savent point que je tranche le noeud gordien à la manière d’Alexandre ! Qu’ils sachent bien que je suis le même aujourd’hui, le même homme que j’étais à Wagram et à Austerlitz ; que je ne veux dans l’État aucune intrigue ; qu’il n’y a point d’autre autorité que la mienne et qu’en cas d’événements pressés, c’est la Régente qui a exclusivement ma confiance. Le roi Joseph est faible, il se laisse aller à des intrigues qui pourraient être funestes à l’État… Je ne veux point de tribun du peuple ; qu’on n’oublie pas que c’est moi qui suis le grand tribun. »
On se bat devant Reims. Il est en première ligne.
À minuit, ce lundi 14 mars, il pénètre dans la ville. Toutes les croisées sont illuminées, la foule a envahi les rues et l’acclame.
Napoléon, à l’hôtel de ville, est entouré par des centaines de Rémois qui crient : « Vive l’Empereur ! » Il décore l’artilleur qui, par son tir, a tué le général Saint-Priest qui commandait l’armée russe.
— C’est le même pointeur qui a tué le général Moreau : c’est le cas de le dire, ô Providence, ô Providence ! s’exclame Napoléon.
Il reçoit Marmont, l’accable de reproches puis peu à peu s’apaise. Il lui semble que la victoire est à nouveau à portée de main. Il a enfoncé un coin entre les armées de Blücher et de Schwarzenberg. Il peut rejoindre l’Est, tourner les coalisés.
« Votre caractère et le mien, écrit-il à Joseph, sont opposés. Vous aimez à cajoler les gens et
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