[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
amie,
« J’ai été tous ces jours-ci à cheval. Le 20, j’ai pris Arcis-sur-Aube. L’ennemi m’y a attaqué à six heures du soir, le même jour je l’ai battu et je lui ai fait quatre mille morts. Je lui ai pris deux pièces de canons, il m’en a pris deux, cela fait quitte. Le 21, l’armée ennemie s’est mise en bataille pour protéger la marche de ses convois sur Brienne et Bar-sur-Aube. J’ai pris le parti de me porter sur la Marne et sur ses communications afin de le pousser plus loin de Paris et me rapprocher de mes places. Je suis ce soir à Saint-Dizier.
« Adieu, mon amie. Un baiser à mon fils.
« Nap. »
Est-ce que cette lettre parviendra jamais à Marie-Louise ? Voilà près de cinq jours qu’il ne reçoit plus de nouvelles d’elle.
Il se tourne vers Berthier et Ney.
— Ces cosaques…, murmure-t-il.
Ils traquent les estafettes, loin en avant du gros des troupes. Ils se saisissent du courrier. L’ennemi peut ainsi être averti de mes mouvements, de l’état d’esprit de Paris. Mais c’est un risque qu’il faut prendre. Il faut qu’à Paris les « trembleurs » sachent que je combats, que l’espoir et la résolution m’habitent.
Dans la nuit, alors qu’il va de son lit de camp à la table sur laquelle sont étalées les cartes, Caulaincourt arrive. Il est hors d’haleine, les traits tirés. Il a failli être fait prisonnier entre Sompuis et Saint-Dizier. Les Alliés ne traitent plus, dit-il. Napoléon s’exclame. Ils n’ont jamais voulu réellement négocier.
— Ce que veut l’ennemi, c’est de piller et de bouleverser la France. Alexandre veut se venger à Paris de la bêtise qu’il a faite en brûlant Moscou. Ce que veulent les ennemis, c’est de nous humilier, mais plutôt mourir.
Il marche dans la pièce sombre.
— Je suis trop vieux soldat pour tenir à la vie ; jamais je ne signerai la honte de la France. Nous nous battrons, Caulaincourt. Si la nation me soutient, les ennemis sont plus près que moi de leur perte, car l’exaspération est extrême. Je coupe la communication des Alliés ; ils ont des masses mais pas d’appuis ; je rallie une partie de mes garnisons ; j’écrase un de leurs corps et le moindre revers peut les amener loin.
Il se penche sur Caulaincourt.
— Si je suis vaincu, mieux vaut tomber avec gloire que de souscrire à des conditions que le Directoire n’eût pas acceptées après ses revers d’Italie. Si on me soutient, je puis tout réparer. Si la fortune m’abandonne, la nation n’aura pas à me reprocher d’avoir trahi le serment que j’ai prêté à mon couronnement.
Il se redresse.
— Schwarzenberg me suit ; vous arrivez à propos, vous verrez de belles choses sous peu.
Il appelle Berthier. Il va et vient les mains derrière le dos.
— Envoyez un gendarme déguisé à Metz ; envoyez-en un à Nancy et un à Bar, avec des lettres aux maires, dit-il. Vous leur ferez connaître que nous arrivons sur les derrières de l’ennemi ; que le moment est venu de se lever en masse, de sonner le tocsin, d’arrêter partout les commandants de place, commissaires de guerre ennemis, de tomber sur les convois, de saisir les magasins et les réserves de l’ennemi, qu’ils fassent publier sur-le-champ cet ordre dans toutes les communes. Écrivez au commandant de Metz de réunir les garnisons et de venir à notre rencontre sur la Meuse.
Il s’arrête, fixe Berthier. Le maréchal, prince de Neuchâtel, a l’air hagard. Il balbutie mais n’ose prononcer une phrase d’une voix distincte.
Je sais ce qu’il pense, ce qu’ils pensent tous : où va-t-on ? se demandent-ils. Si l’Empereur tombe, tomberons-nous avec lui ?
Il lui faudrait du temps pour rallier des troupes. Mais à chaque heure l’ennemi se renforce. Et tout cède. Augereau, duc de Castiglione – mais qu’est devenu l’homme de la campagne d’Italie ? – évacue Lyon au lieu de m’apporter son soutien. Il se replie sur Valence ! Marmont et Mortier, deux maréchaux encore, reculent et se font battre à La Fère-Champenoise. Ce sont les carrés formés par les gardes nationaux qui résistent le mieux, se font tailler en pièces comme de vieux grenadiers. Les cosaques viennent jusqu’ici, à Saint-Dizier, et il faut se battre contre les troupes russes de Winzingerode, dont ils ne sont que l’avant-garde.
Napoléon est en première ligne avec les « Marie-Louise » et la Garde, qui montent à l’assaut tambour
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