Napoléon
trente mille hommes à la curée de son ancienne patrie, en dépit de l’entrée à Madrid des Anglais, en dépit, enfin, dé Murat qui commence à flancher et rêve de devenir le Bernadotte du sud de l’Europe. Le 26 « janvier, l’Empereur lui écrit : « Je suppose que vous n’êtes pas de ceux qui pensent que le lion est mort. Si vous faisiez ce calcul, il serait faux. Vous m’avez fait tout le mal que vous pouviez depuis mon départ de Vilna. Le titre de roi vous a perdu la tête. Si vous désirez le conserver, ce titre, il faut vous conduire autrement que vous avez fait jusqu’à présent. »
Murat, en recevant cette semonce, ne rentre pas dans le rang. Bien au contraire, ce magnifique soldat, mais piètre politique, commence à faire des avances aux adversaires de son beau-frère. À la première occasion – par exemple la déclaration de guerre de l’Autriche à Napoléon – le roi de Naples offrira ses services à l’Autriche, à la condition toutefois que les Alliés lui permettent de conserver le royaume de Naples.
Pour l’instant, l’Empereur consacre ses nuits et ses journées à forger sa nouvelle armée ; il compte ses hommes. « J’ai les moyens de réparer mes fautes », avait-il dit le lendemain de son retour. Il n’ignore plus maintenant que des survivants de la dramatique retraite de Russie, il ne reste plus, outre les débris de la Garde, que trois mille combattants de la division Loiseau. Du sang neuf est à sa disposition. Il y a d’abord la classe 1813, soit cent quarante mille hommes, auxquels viennent se joindre cent mille soldats de la Garde nationale. Il peut encore être sûr, du moins pour l’instant, des contingents que lui fourniront la Confédération du Rhin et le royaume de Naples. D’autre part, il décide d’appeler sous les drapeaux les Gardes d’honneur et de mettre ainsi sous les armes les jeunes gens qui appartiennent à la haute bourgeoisie et à la noblesse. Jusqu’à présent, dans chaque département, ceux-ci n’effectuaient qu’un service de parade, payant un remplaçant pour tenir leur place aux armées. Ainsi que le constatera Poumiès de la Siboutie, « cet acte de despotisme excita une clameur générale et aliéna au gouvernement toute cette partie aisée et éclairée de la Nation ». Cependant le décret va fournir dix mille cavaliers à l’Empereur – apport important puisque Napoléon manque gravement de cavalerie. Mais pourquoi ne leur a-t-il pas adjoint l’armée d’Espagne, forte de deux cent cinquante mille hommes, et composée des meilleurs soldats de l’Europe, ceux d’Austerlitz et de Friedland ? Le proscrit de Sainte-Hélène en conviendra :
— Après les affaires de Russie, je devais faire les affaires d’Espagne. Je devais aller à Valençay, en quarante-huit heures terminer avec Ferdinand, l’envoyer en Espagne et retirer mon armée.
Pourquoi s’est-il privé d’un apport aussi considérable ? Parce que, pour établir la paix outre-Pyrénées, il eût fallu rendre l’Espagne à Ferdinand VII qui aurait assurément tendu la main aux Anglais. Par ailleurs, Joseph, souverain en disponibilité, serait, en ce cas, revenu à Paris. C’est l’aîné du clan qui aurait alors exercé la régence pendant la prochaine campagne. Or, pour neutraliser son beau-père, Napoléon pense l’offrir à Marie-Louise. Il semblait encore inimaginable que le grand-père puisse vouloir détruire l’empire du petit-fils ! Et pourtant !... Confiance tragique qui vaudra son trône à l’Empereur !
Il lui faut aussi de l’argent puisqu’il ne veut pas toucher à son « trésor de guerre » – deux cent millions en or – qui se trouvent rangés en tonnelets dans les caves des Tuileries. Aussi, le 14 février, l’Empereur se rend en grande cérémonie au Corps législatif pour demander aux représentants de voter les textes qui lui fourniront des subsides. Sans doute les députés ne résisteront-ils point : ils n’y songent même pas – d’autant qu’il ne s’agit pas de leur argent –, mais Napoléon, pour la première fois, craint les réactions de l’opinion publique. Ayant fait depuis son retour quelques promenades dans Paris, l’Empereur y a rencontré un accueil mitigé – parfois même assez froid – et cela a été pour lui une révélation. C’est ainsi que pour se rendre à la Chambre des députés – l’ancien palais Bourbon – il prend par le plus court : le jardin des Tuileries, la place
Weitere Kostenlose Bücher