Néron
ambitions : il voulait être empereur. Le mariage avec Messaline lui avait sans doute paru le moyen le plus sûr de contraindre Claude à s’effacer, couvert de honte.
Lorsque Agrippine me fit part de ce projet sacrilège, j’ai d’abord douté qu’il voie jamais le jour.
Comment Messaline et Silius pouvaient-ils imaginer que les proches de Claude, ses affranchis, Narcisse et Pallas, tous ceux qui se partageaient le pouvoir et s’enrichissaient à ses côtés, allaient accepter d’être dépouillés, pourchassés, bannis ou tués ?
— Messaline et Silius se marieront, me répéta Agrippine. Les dieux les ont aveuglés. Messaline ne perçoit pas le piège qu’ils lui tendent.
Le ton d’Agrippine, son regard, toute son attitude – bras croisés, buste penché en avant – me glacèrent. Elle était bien la femme rapace, à l’affût, prête à bondir dès lors que Messaline se serait ainsi exposée au châtiment.
À Rome, chacun guettait, on attendait, on cherchait à comprendre ce qui inspirait une pareille folie, car on savait que Silius ne pouvait compter que sur quelques dizaines d’affidés, qu’aucune cohorte de prétoriens n’était disposée à le soutenir, qu’en somme, sans le désarroi de Claude, sa fuite ou son suicide, il n’avait aucune chance de réussir.
C’était un pari si risqué que, jusqu’au jour des épousailles, j’hésitai à croire qu’elles eussent lieu. Mais Messaline avait tout éprouvé des plaisirs de la débauche, et le scandale, le danger inhérents à ce mariage étaient sans doute pour elle une ultime jouissance.
Et le mariage de Messaline et de Silius eut bien lieu alors que Claude avait quitté Rome, en ces jours de la mi-août, pour se rendre à Ostie y célébrer la fête de Vulcain.
Je vis ainsi Messaline et Silius marcher vers l’autel des dieux, écouter les devins leur promettre la naissance d’enfants virils qui prolongeraient leur union, et j’entendis les augures leur annoncer un avenir glorieux, puissant et faste.
Et cela alors que Messaline était l’épouse de l’empereur régnant et qu’il ignorait qu’on le bafouait et le ridiculisait à Rome ! Jamais plus grand camouflet n’avait été infligé à un descendant de César.
Je suis retourné chez Agrippine. L’enfant Lucius Domitius se tenait près d’elle qui ressemblait à un fauve aux babines retroussées tant son expression était avide, la bouche mi-ouverte, tout le bas du visage projeté en avant comme pour mordre, aspirer le sang de ses proies.
— Ils l’ont fait, Serenus, ils l’ont fait ! Bientôt va venir le moment pour moi, pour mon fils !
Elle avait posé sa main longue et blanche, osseuse et baguée sur la tête de l’enfant.
Lucius Domitius levait les yeux sur sa mère. Je le sentais prêt à bondir avec elle sur la proie, à arracher sa part de chair, à enfouir son museau dans le sang.
À quelques pas se tenaient ses maîtres, Beryllus et Anicetus, et le prêtre égyptien Chaeremon. Mais que valaient leurs leçons de rhétorique et de sagesse alors que l’enfant voyait sa mère, toutes griffes dehors, retenant son souffle, qui guettait, attendant le moment propice pour se jeter sur ses proies pantelantes ?
Je sais qu’Agrippine a rencontré les affranchis Narcisse et Pallas. Ils seraient les premières victimes si Silius prenait le pouvoir.
Elle a vu les courtisanes Calpurnia et Cleopatra. Elle leur a dit que leur sort était lié à celui de l’empereur. Messaline et Silius les tueraient ou les livreraient aux gladiateurs. Il fallait donc qu’elles avertissent Claude. Il y allait de leur vie.
J’ignore qui a approché l’empereur à Ostie. Est-ce Narcisse ou Calpurnia, ou bien Agrippine elle-même a-t-elle fait le voyage ?
Nièce de Claude, elle pouvait lui dire : « Est-ce que tu sais que tu as été répudié par Messaline qui a répandu sur toi le ridicule et la honte ? Sais-tu que le mariage avec Silius de celle qui est ton épouse s’est accompli selon le rituel solennel, et qu’il a été vu par le peuple, le Sénat et les soldats réunis ? Comme si tu n’étais rien, comme si tu étais déjà mort ! Si tu n’agis pas promptement, Silius, le mari, sera maître de la ville et c’en sera fini de toi ! »
Claude – les témoins me l’ont rapporté – a pâli, tremblé, regardé autour de lui comme s’il voyait déjà s’avancer les assassins.
Alors Agrippine aurait commencé à décrire la fête qui se
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