Néron
déroulait dans la maison de Silius, le simulacre de vendange auquel se livraient Messaline et son époux. Des femmes couvertes de peaux de bêtes célébraient le dieu Bacchus. C’était un véritable délire, le sang noir des grappes écrasées jaillissait sous les pieds nus, dans les cris et les chants. Silius couronné de lierre et Messaline, les cheveux dénoués, dansaient. L’époux agitait la tête en tous sens, brandissait le bâton sacré des bacchantes, le corps renversé, offert.
Je suis sûr que c’est Agrippine qui, la bouche frôlant l’oreille de l’empereur, a raconté cette fête autour des pressoirs, décrit ces femmes nues et, parmi elles, Messaline, les corps vautrés parmi les grappes écrasées, le sang noir de la vigne coulant sur leur peau.
— Qu’on me venge, qu’on les tue ! a tout à coup hurlé Claude, emporté par l’une de ces colères qui frappaient telle la foudre, puis se dissipaient comme un bref orage d’été.
L’empereur a décidé de rentrer sur-le-champ à Rome.
Déjà Narcisse avait envoyé ses prétoriens, ses centurions et l’affranchi Evode avec pour mission d’arrêter Silius et ses proches. « Et, avait-il précisé, faites généreusement couler le sang ! Il faut laver Rome. »
Claude arriva peu après, se rendit au camp des prétoriens, et, malgré la honte qui lui serrait la gorge, il demanda aux soldats de le venger, ajoutant d’une voix basse que, puisque le mariage lui réussissait si mal, il préférait être veuf.
Les cohortes levèrent leur glaive. Un long cri s’éleva de leurs rangs : « Châtiment ! »
Alors commencèrent à mourir celles et ceux qui avaient assisté au mariage et avaient félicité Silius et Messaline. Puis moururent les amants de Messaline, et même ce malheureux Mnester, le pantomime, bien qu’il eût rappelé qu’il avait tenté de repousser les avances de Messaline et que c’était l’empereur qui lui avait ordonné de se soumettre aux ordres et aux désirs de sa femme.
Mais Claude détourna la tête. Des dizaines de jeunes nobles, des préfets, des procurateurs, des chevaliers, et Silius en personne, consul désigné, avaient déjà été égorgés, ayant présenté leur cou, demandant qu’on se hâte ; pourquoi, dans ces conditions, épargner un histrion comme Mnester ?
Claude avait fait servir à dîner. Il but et se bâfra toute la nuit.
Au matin, quand on lui annonça que Messaline était morte, il sembla à peine prêter attention à la nouvelle, ne cherchant pas à savoir si on avait dû la tuer ou bien si elle avait choisi de devancer ses assassins.
C’est Agrippine qui me raconta, les lèvres luisantes, les derniers instants de sa rivale. Quand le tribun qui commandait la cohorte de garde du Palatin avait enfoncé la porte, accompagné de l’affranchi Evode, Messaline avait frémi. Avec les mots et la vulgarité d’un esclave, Evode l’avait insultée : « Chienne tu es, et comme une chienne tu vas mourir ! »
Elle avait saisi un poignard, tenté de s’ouvrir les veines, mais sa main tremblait trop. Et c’est le tribun qui l’avait transpercée de son glaive.
Agrippine s’est approchée de moi, enfonçant ses yeux dans les miens.
— Un empereur ne peut rester sans épouse, a-t-elle murmuré. Claude a déjà oublié Messaline.
On lui avait rapporté que l’empereur avait continué à cuver son vin, à somnoler, les mains croisées sur le ventre, le regard voilé, Calpurnia et Cleopatra serrées contre lui.
— Le Sénat, a repris Agrippine, a décidé que l’on ôterait le nom et les portraits de Messaline des lieux publics et privés.
Elle ne me quittait pas des yeux.
— Comme si elle n’avait pas vécu, Serenus !
Elle a répété ces mots, le visage immobile, ses lèvres seules bougeant un peu. Puis elle les a serrées, des rides profondes se creusant autour de sa bouche.
Elle a murmuré :
— Elle laisse ses enfants Octavie et Britannicus.
Elle a tendu le bras, attiré son fils contre elle, lui enveloppant le visage de ses deux mains.
— Toi, toi ! a-t-elle dit.
Lucius Domitius levait les yeux sur sa mère.
J’ai eu peur du couple qu’ils formaient.
7
En quelques jours, j’ai vu Agrippine devenir la femme la plus puissante et la plus redoutée de Rome.
Elle était d’abord restée tapie dans sa tanière, cette immense villa dont les bâtiments majestueux s’étageaient sur la colline du Palatin, non loin du palais impérial.
Elle
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